• 7, 8, 9 et 10 septembre 1915

    [7 septembre] L’Empereur de Russie, le Tsar Nicolas II prend la direction de ses armées de terre et de mer.

    Je reçois une lettre de Charlot :

    « La tranchée le 2 septembre

    Cher oncle,

    Me voilà parti sur ma vingtième armée depuis hier. J’ai reçu votre lettre m’annonçant le colis et celle de votre sœur m’en annonçant un autre, ils seront bien reçus, je vous en remercie beaucoup, vous êtes trop bon. Je pense les recevoir tout les deux demain. Vous avez dû recevoir le petit souvenir par Mme Gérardin. Demain je vais vous expédier une bague que j’ai faite et j’ai gravé dessus (Yser), ça me rappelle des petits souvenirs. Je vais envoyer aussi quelque chose à Mme Legendre, ainsi qu’à Paris, tout le monde sera content. M. Gérardin est arrivé hier me disant qu’il n’avait pu vous voir, faute que sa permission n’était pas assez longue. Je suis toujours en très bonne santé et je désire que ma lettre vous trouve de même ainsi que Mme Legendre. Le curé de Candé m’a écrit. Vous lui souhaiterez bien le bonjour de ma part ainsi qu’à la famille Revault. Je ne vois plus grand-chose à vous dire pour aujourd’hui ; demain nous serons dans les sables pour 4 jours de repos. Je vous écrirai comment sont arrivés les colis. Je termine en vous embrassant de tout cœur ainsi que votre mère.

    Bien le bonjour à Kiki et aux petits noirauds.

    Viard Charles »

    En même temps le facteur me remet une petite boite recommandée : c’est une superbe bague faite par Charles avec - paraît-il – le bouchon en aluminium des obus boches. Elle est très bien faite. Elle représente une cordelière, avec – sur le dessus- un petit chaton sur lequel est gravé le mot : Yser. Elle est très jolie et j’en remercie aussitôt Charlot.

    [8 septembre] L’Église, au sanctuaire de Notre-Dame-des-Aydes, est pleine ce matin, à la messe de 7 h 30, des centaines de cierges brûlent aux pieds de la Madone. Monseigneur l’évêque de Blois devait célébrer la messe mais – ayant été invité au sacre de monseigneur [Léon-Adolphe] Lenfant, ancien curé de Saint-Antoine-de-Paris, nommé évêque de Digne – qui a lieu aujourd’hui à Notre-Dame-de-Paris, il fut obligé de se faire remplacer, à Notre-Dame-des-Aydes, par son vicaire général : monseigneur l’Abbé Montagne.

     

    lenfant

    Monseigneur Lenfant à droite [en compagnie des messeigneurs Touchet et Donelly].- Agence photographique Rol.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (552)

     

    « Repos, le 3-9-15,

    Cher oncle, m’écrit Charles,

    J’ai reçu votre carte hier me disant que vous n’étiez pas content parce que je ne vous envoie rien. Mais le lieutenant a laissé à sa mère pour vous remettre un souvenir comme jamais vous n’en avez eu. Vous n’avez sans doute pas vu Mme Gérardin, j’en suis désolé ; je vous ai expédié une bague ce matin, vous ne l’aurez sans doute pas avant le 10 de ce mois. Mais je fais tout mon possible pour vous faire plaisir.

    Quand je vous avais dit que je vous envoyais le bonnet avec les coquillages, le vaguemestre n’a pas voulu le recevoir, mais je vous avais écrit que je ne pouvais pas l’envoyer, sans doute vous n’avez pas reçu la lettre, c’est désolant. Je viens de recevoir les 2 colis, le vôtre et celui de votre sœur, ils m’ont fait un très grand plaisir, et c’est bien du moins que je vous fasse plaisir aussi .La pipe que votre sœur m’a envoyée est pareille à celle que vous m’aviez donnée. J’en suis très content ; tout était en bon état. Ce matin il fait un temps épouvantable, la pluie, la grêle, tant qu’on en veut ; mais nous sommes à l’abri ; après la pluie c’est le beau temps. Tâchez donc de voir Mme Gérardin, et vous me le direz ; peut-être l’avez-vous déjà. Je ne vois plus grand-chose à vous dire, que je suis en bonne santé et que je désire que ma lettre vous trouve de même. Embrassez bien Mme Legendre pour moi.

    Votre deuxième coquin qui vous embrasse.

    Viard Charles. »

    À sa lettre était joint un superbe ruban, tout neuf, de béret de marin, avec la belle inscription en lettres dorées « 1er régiment de marins », avec les deux ancres de marine.

    Le cher enfant fait vraiment tout ce qu’il peut pour me faire plaisir.

    On vient de créer à Blois un camp d’instruction de mitrailleurs, de tous les régiments. Le stage est de 20 jours, paraît-il. Chaque matin la forêt répercute les mille échos des mitrailleuses qui, à la cible, font entendre leurs pétarades.

    [9 septembre] Les vaillantes armées russes reprennent l’offensive et infligent aux austro-boches des pertes énormes : prisonniers (chiffres fantastiques), tués, blessés, leur élan est remarquable. Ayons confiance dans la Sainte Russie.

    Je suis prévenu par l’administration de l’hôpital 1 bis que je peux reprendre mes veilles, des blessés étant arrivés hier. Je reprendrai donc mes veilles à partir de lundi prochain, heureux d’apporter ma faible contribution d’aide.

    Charlot m’envoie une carte « Vue de Nieuport, après sa destruction par les Allemands ». Pauvre Nieuport !

    « Le 4-9-15.

    Je suis toujours en bonne santé. Bien le bonjour à Mme Legendre. Votre neveu qui vous la serre. Viard Charles. »

    Ce soir je vais continuer mes vérifications du jeudi à Chambon. Aller et retour par le tramway à vapeur. Quel délicieux oasis que Chambon ! Et quel temps radieux d’automne !

    Étant souffrant, et assez souffrant depuis longtemps déjà, je suis allé voir – hier – le docteur Ferrand. Je souffrais beaucoup dans la région du cœur, je ne dormais plus ou mal, j’avais des étouffements et des palpitations. Le docteur m’ordonne des pilules de digitaline, une potion, des applications de teinture d’iode, et me défend le vin pur, le thé, la viande au repas du soir, pas de café. Je me conformerai à la lettre à ces prescriptions.

    [10 septembre] Berthe m’écrit ce matin :

    « … J’ai reçu ce matin une nouvelle bague de Charles, c’est une ceinture avec l’inscription « Yser 14-15 », c’est très gentil ; il m’a annoncé une longue lettre en même temps, elle n’est pas encore arrivée. »

    Marcel Perly, retournant en Argonne, vient nous voir. Il a bonne mine, est très dispos, repart au front plein de vaillance. Je lui souhaite un prochain retour, avec la victoire.

    Les Russes avancent encore. Tant mieux !

    Aux Dardanelles, c’est assez calme.

    L’année dernière la Très Sainte Vierge nous a donné le « miracle de la Marne », espérons que cette année, en ce même mois, elle nous donnera le « miracle de la France libérée ! » Demandons-lui !...