• 3, 4, 5 et 6 septembre 1915

    3, 4, 5 et 6 septembre 1915

    [3 septembre] État-civil des ambulances de Blois pendant le mois d’août :

    Le 2 août : Victor-Sem Cosson, 38 ans, soldat au 156e d’infanterie (rue Franciade) ;

    Le 3 août : Albert-François Perronnet, 26 ans, soldat au 295e d’infanterie (rue Franciade) ;

    Le 9 août : Louis-Hippolyte-Eugène Combe, 32 ans, soldat au 157e régiment d’infanterie (rue Franciade).

    Les versements d’or à la Banque de France de Blois s’élèvent, à la fin d’août, à la jolie somme de 2 800 000 francs !

    Quelques dernières citations à l’ordre du jour : Robert Jeulin (ancien membre de notre comité de la Jeunesse Catholique, au temps où j’étais vice-président) ; Pierre Dillard (enseigne de vaisseau [du Dupleix]), capitaine [René] Burat (fils de M. Burat, 2e adjoint de la ville de Blois) ; capitaine de Beauregard (au 113e).

    Une bonne lettre de madame d’Aigremont :

    « La Chaise par Saint-Georges-sur-Cher, 2 septembre 1915.

    Cher monsieur,

    Oui, ma pauvre mère à été à deux doigts de la mort et s’en qu’elle s’en doutât un seul instant. Je crois, grâce à Dieu, qu’elle est hors de danger mais la convalescence sera très longue. Elle se lève tous les jours un peu, mais depuis avant-hier, elle est prise de vertiges. J’espère que ce ne sera rien de grave. Ne viendrez-vous pas déjeuner un de ces jours ? Nous parlerons de nos absents et de la… guerre !

    Je crains bien que nous soyons obligés de passer un second hiver à la campagne. Qu’en pensez-vous ?

    Je vous prie de croire, cher monsieur, à mes sentiments de sincère amitié.

    J.Masquelier d’Aigremont. »

    Cette bonne lettre me cause la plus grande joie !

    [4 septembre] Une nouvelle ambulance vient d’être créée, rue de la Gendarmerie, n°6, dans les locaux de l’ancienne école des frères, par les soins aussi dévoués que modestes de M. Gabriel de la Morandière[1].

    M. Richard[2] m’envoie des détails sur la blessure de son neveu :

    « Monsieur Legendre, quelques détails sur la santé de mon cher neveux depuis que je vous ai donné des nouvelles de lui son intestin traverser 7 fois son intestin rétreci de 7 centimètres, il a tombé dans la tranchée fasse contre terre revenu à lui son sergent tué son caporal les deux poigne coupé tout c’est camarade tué ils a fait 20 mètres puis ils a retombé ramassé puis à la 1ère ambulance au front ils a été 2 fois administré. Je croi que avec nos prierres et de toutes c’est dammes ils est sauvet. Nous recevons une lettre de lui ce matin qui nous dit que son majors et bien comptant de lui car suivant sa blessure c’et le 1er qui sauve pour l’opérations ils nous dit qu’ils va rester encore 3 semaines à l’ambulance sur le front puis évacuer sur Paris ou en normandie. »

    Malgré l’orthographe de ce bon Richard, les détails qu’il me donne sur la blessure de son neveu sont navrants. Pauvre garçon ! que Dieu le conserve.

    Paul Verdier m’envoie 17 photographies de lui et de notre bon ami commun, Pierre Courtois[3], actuellement avec lui aux armées. C’est gentil et cela augmente encore mon petit musée de l’armée.

    Paul me dit qu’il a fait un bon voyage et que c’est avec regret qu’il a quitté sa famille « et mes bons amis tels que toi. Mais puisqu’on y est il faut aller jusqu’au bout ! »

    Quant aux fameux colis de Charles, au « chouette colis » je suis comme sœur Anne, j’attends et ne vois rien venir !...

    [5 septembre] Aujourd’hui anniversaire de la bataille et de la victoire de la Marne.

    Il fait un temps d’automne ravissant ! Aussi je pars à 2 heures, à bicyclette, avec Kiki, longe la Loire jusqu’à la pente de Chailles, descends – un instant – sur une petite plage du fleuve, remonte, continue par l’Orme-Cochard et la Grange-Rouge. Comme il fait bon ! Et comme le paysage est ravissant et large : le beau fleuve qui coule paresseusement entre des îles de sable, au pied du coteau verdoyant parsemé de villas, baignant - presque - le pied de fermes paisibles et importantes. L’horizon est voilé d’ozone.

    Je descends par le val fertile de Candé, passe au château de Madon – ancienne résidence des évêques de Blois (les sources chantent, les beaux arbres du parc étendent leurs ombres et les feuilles bruissent au souffle léger du vent).

     

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    [Candé-sur-Beuvron].- Château de Madon par Chailles.- 6 Fi 32/13. AD41

     

    Je continue par Villelouet, les Bordes, la Haye (partout s’épand une bonne odeur de fruits, sur le bord des chemins, les noix tombent dans l’herbe chargée de rosée), Seur, la Boissière, le Sapin de la Boissière, la Croix-Rouge et Blois. Je rapporte un superbe bouquet de bruyère violette cueillie dans l’allée du sapin de la Boissière. Très bonne promenade ! Cela repose d’entendre toujours parler de la guerre et de ses carnages.

    [6 septembre] Ce matin je reçois deux cartes du gentil blessé, Fernand Guibert (anciennement salle 1, à l’ambulance 1 bis) retombé malade, soigné à une ambulance de Châtellerault, actuellement en convalescence, pour 2 mois, au château de Scorbé-Clairvaux (Vienne). Ses 2 cartes représentent : une vue de Scorbé-Clairvaux et les douves du château du même pays.

    « J’ai été très heureux - me dit-il - d’avoir de vos nouvelles, car je vois que vous ne m’avez pas perdu de vue, pour moi je ne vous oublierai jamais, car j’ai trop bon souvenir de l’hôpital 1 bis, ainsi que des braves gens qui nous entouraient de si bons soins. Pour ma santé elle s’améliore beaucoup ; j’avais deux mois de convalescence. Vous dites que si vous le pouvez vous viendrez me voir. Je serais très heureux d’avoir votre visite. Je suis très heureux aussi de voir que Viard a une belle citation à l’ordre du jour. Veuillez bien vouloir me donner son adresse que je lui adresse toutes [mes] félicitations. Pour l’adresse de Boutet je ne puis vous la donner.

    Recevez, monsieur, les bons souvenirs de votre ami tout dévoué :

    Guibert Fernand, convalescent au château de Scorbé-Clairvaux (Vienne). »

    Notre Saint Père le Pape vient de nommer Doyen du chapitre de Blois, M. l’abbé Petit, vicaire général ; monseigneur vient de nommer M. l’abbé [André Etienne] Taranne, chanoine titulaire.

    Je ne sais comment j’ai oublié de noter que le 2 septembre j’ai reçu une bonne lettre de Charlot, contenant une superbe photographie, prise par son lieutenant sans doute, du groupe des fusiliers marins rassemblés dans les dunes. C’est après la messe, tous les marins sont rassemblés, l’autel a été dressé sous une cabane en bois, on aperçoit la croix et des fleurs, le prêtre revêtu de ses habits sacerdotaux est parmi les braves fusiliers, officiers et soldats sont tous réunis, l’harmonium – s.v.p.- est ouvert, Charles est assis, à côté, au 1er rang, les jambes croisées, il a bonne mine et a pris son air grave. Le bon Charlot ! Cette photographie me cause le plus grand plaisir.

    La lettre est datée du 29 août.

    « La tranchée le 29-8-15

    Cher oncle,

    J’ai reçu votre lettre m’annonçant le colis. Je suis très content et je vous remercie beaucoup. Je vous envoie une photo, je suis dessus avec mon lieutenant et mon capitaine. Nous sommes photographiés après la messe. Nous sommes très bien, je crois que vous allez me trouver. Je suis en bonne santé et je désire que ma lettre vous trouve de même. Embrassez bien Mme Legendre pour moi. Je termine en vous embrassant de tout cœur.

    Viard Charles ».

    Cette lettre me fait un grand plaisir.

    Ce soir je vais aux Montils – aller et retour par la forêt. Un aéroplane me précède au-dessus de la forêt.

    [1] Place du château, 19, à Blois, et château de Rougeou, par Contres (Loir-et-Cher).

    [2] Entrepreneur de couverture à Chouzy-sur-Cisse (Loir-et-Cher).

    [3] Directeur d’assurance, « l’Abeille » rue d’Angleterre, n°11.