• 29 et 30 septembre 1915

    [29 septembre] Saint-Michel. L’avance continue et se maintient, tant en Champagne. Les troupes anglaises arrivent aux 3e lignes de tranchées boches. La lutte se poursuit sans relâche et sans répit. Nous tenons – en Artois – la fameuse crête de Vimy, qui domine et commande toute la plaine de Douai. Nous faisons encore de nombreux et nouveaux prisonniers.

    Le communiqué officiel qui, contrairement à l’esprit allemand, ne « bluffe » pas et est plutôt trop modeste, évalue les pertes des allemands en tués, blessés et prisonniers, à trois corps d’armée, c’est-à- dire près de cent mille hommes !

    Vive la France toujours !

    En raison de la nouvelle offensive, je reçois une carte-postale de Bayonne « Le Pont-Saint-Esprit », de Paul Verdier, qui a repris son service des trains sanitaires.

    « 28/9/15 Vive nos poilus de l’armée de Champagne. Enfin notre inaction est terminée ; nous avons fait l’évacuation des blessés des vainqueurs des boches. Et combien de prisonniers nous avons vus ! Nous avons été jusqu’aux points extrêmes du front. Je suis passé par Blois et j’ai regretté de ne pas te voir. Au retour, ces jours-ci, j’enverrai une dépêche à mon père ; passe donc le matin et le soir pour savoir. Amicalement à toi : P. Verdier »

    La carte est mise à la poste à la gare de Dax, dans les Landes.

    Ce matin ont lieu à Sambin, les obsèques d’un brave homme, le maître Auger, comme on l’appelait, agriculteur, président du conseil paroissial de Sambin, que j’étais heureux de compter parmi mes sympathies. Droit, l’allure franche, réservé et réfléchi, profondément attaché à la religion et à la terre, il servait l’une et l’autre en fils soumis et aimant. Agriculteur très entendu il cultivait sa terre, cultivée déjà par ses ancêtres ; et ses fils – élevés à cette école du courage et de la persévérance – continueront – sans nul doute – la belle lignée des Auger, qui – sur leur terre de la Pierdière [Piardière] – ont défriché, semé, et récolté les belles moissons de la France.

     

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    Sambin.- Route de Fougères-sur-Bièvre.- 6 Fi 233/2. AD41

     

    Je me devais d’honorer ici la mémoire du maître Auger, que j’affectionnais particulièrement.

    Que Dieu le récompense au Ciel !...

    J’ai fait part à la dévouée Mme Gérardin de la mort du pauvre petit Saumet que Charles m’a appris dans sa dernière lettre. Elle me répond

    « Monsieur

    Je vous remercie de la triste communication que vous me faites. J’ai un réel chagrin pour mon petit Saumet. C’était un brave enfant tout à fait. Que le bon Dieu veille sur ceux que nous aimons !

    Je vais écrire au directeur de l’assistance publique de Bordeaux afin qu’il prévienne ses frères et sœurs avec lesquels il avait été si heureux de correspondre les temps derniers. Veuillez-croire – monsieur – à mes sentiments distingués. P. Gérardin. »

    [30 septembre] Le brave Portets[1] m’écrit qu’il a appris par sa femme que je m’intéressais beaucoup à lui – c’est vrai – et que je lui demande souvent de ses nouvelles. Il me remercie et me dit qu’il est en bonne santé, qu’il est dans les tranchées à faire des travaux de défense.

    C’est un brave, honnête et actif entrepreneur que j’affectionne particulièrement.

    Voici aussi une carte du « château » - île d’Oléron – de M. Plauson, mobilisé, le couvreur de Saint-Viâtre.

    Que peut-il faire à l’île d’Oléron ? Garde-t-il des prisonniers ? Ou va-t-il partir pour les Dardanelles ?

    Paul Verdier, le bon Paul, m’envoie trois photos – sur lesquelles il est.

    1/ Les ruines de Sommeilles (Meuse), pays entièrement détruit ;

    2/ Le fourgon « tisanerie » garé en décembre 1914 à Sommeilles-Rettencourt

    3/ vue du bas de l’église de Sommeilles (Meuse) détruite par l’incendie en septembre 1914, les cloches tombées, fêlées, brisées et fondues. Sur la photographie, Paul, et deux de ses amis, sont placés chacun – dans une cloche !...

    Paul me dit entre autres :

    « … Nous avons du préparer notre départ pour quitter Troyes et regagner notre train que nous avions abandonné depuis mars. Nous sommes chacun dans nos wagons ; notre train est transformé en wagons à voyageurs, 1ère, 2e, 3e classes, et plus du tout de wagons de marchandises. Nous devons transporter des blessés assis seulement. J’occupe avec mes camarades un compartiment de 2e classe (du P.O) tout neuf ; j’y suis bien, mais la banquette est peu large pour y coucher. Mais on dort quand même. Nous sommes garés dans une petite localité près de (le nom du pays est mal écrit. Est-ce Montdidier ? Montender ?? je ne sais !) et on attend. Il fait un temps superbe, trop chaud aujourd’hui (la lettre est datée du 22). Le docteur Rogier est allé à la pêche avec nos officiers, moi je reste ici à faire ma correspondance, étant enrhumé.

    Pierre Courtois est à Troyes, mais cantonné à Saint-André, près de Troyes, au 47e territorial, 14e compagnie, 10e escouade. Je t’adresse des vues du fameux village de Sommeilles où nous avons été garés en décembre dernier ; village détruit par l’incendie, le bombardement et les pires atrocités. Dans ce pays de la zone des armées nous n’avons plus le droit d’envoyer des cartes du pays. Adresse rectifiée : train sanitaire improvisé A – 1/5 – secteur postal 29.

    Paul. »

    Il y joint une carte de la « Ligue des Patriotes » montrant les ambitions allemandes et ce que veulent les alliés pour la paix de l’Europe.

    Ces deux cartes – car ce sont 2 cartes – sont significatives.

    Cette bonne lettre me cause grand plaisir.

    [1] Entrepreneur de charpentes, route basse de Paris, n°7.