• 26, 27 et 28 septembre 1915

    [26 septembre] Hier j’ai reçu ma convocation pour ma veille de lundi soir à l’ambulance, en réponse à ma lettre demandant à veiller dans la salle où il y a du travail, M. le commandant Brenet, administrateur, me répond :

    « Si Monsieur Legendre a été désigné pour veiller dans les salles n° 1 et 2, c’est par ordre de monsieur le médecin–chef. Si dans ces salles, il y a moins de travail que dans la salle 4, où il y a 20 malades, cela ne l’empêchera pas d’y faire quelques rondes dans sa veille.

    Signé : Brenet. »

    Je n’y comprends plus rien, car M. l’administrateur ne me dit pas : « à l’avenir vous irez où il y aura du travail, soit à la salle 3, à la salle 1, à la salle 2 ou à la salle 4. » Il ne me dit rien de tout cela, et, au contraire, semble me dire que je suis désigné pour les salles 1 et 2 (même s’il n’y a rien à faire ? et s’il y a de l’ouvrage ailleurs ? Même s’il n’y a aucun malade ?), mais que je pourrai faire quelques rondes à la salle 4, durant ma veille aux salles 1 et 2. Voilà ce que je comprends.

    Et justement je rencontre le marquis de Pothuau qui me dit avoir été désigné – mardi soir dernier – le lendemain de moi – pour veiller à la salle 4 ! Et M. le marquis de Pothuau, qui est la bonté même, est le type parfait du vrai veilleur. Il s’installe pour la nuit, se couche sur la chaise longue – comme en un lit – après avoir fait le tour de tous les lits et donné une bonne parole et un cigare à chacun, puis s’endort pour la nuit. Moi je ne m’installe pas, je ne me couche pas, je fais le tour des lits, donne des poignées de main et de bonnes paroles, mais pas de cigares (mes moyens ne me le permettent pas), je ne m’endors pas – tout au plus dans un instant de calme – je sommeille « en gendarme », l’oreille tendue au plus petit bruit, je veille, faisant mes rondes, et je soigne toute la nuit.

    D’où vient donc cette différence de désignation ?

    J’attendrai. Si lundi soir les salles 1 et 2 me sont encore désignées, et s’il n’y a pas de malades, alors qu’il y en à la salle 4, je ne dirai rien ; je resterai aux salles 1 et 2, veillant des lits vides ; mais, rentré chez moi, j’envoie ma lettre de remerciements et de regrets à M. l’administrateur et j’irai offrir mes humbles services à une autre ambulance. Tous les blessés, quels qu’ils soient, et n’importe où qu’ils soient, sont tous dignes d’égards et tous intéressants.

    J’attends donc à demain soir !

    Quel ravissant et incroyable numéro de « l’Art et les artistes » je reçois. « Les Vandales en France ! » quelles majestueuses cathédrales et quelles exquises églises de village détruites à jamais par les barbares ! J’ai passé les plus heureux instants qu’ils soient à contempler – dans le ravissement de l’intimité – ces œuvres merveilleuses ! Mais aussi combien mélangés de douleurs, de révolte et de tristesse à la vue de ces désastres irréparables !...

    Que de richesses d’art disparues à jamais !

     

    29_Fi_00180

    Blois.- Église Saint-Saturnin. Intérieur : Chapelle Notre-Dame des Aydes.- 29 Fi 180. AD41

     

    Aujourd’hui a lieu à la paroisse, en Vienne, le pèlerinage des hommes, des jeunes gens et des prêtres de la ville de Blois, au sanctuaire de Notre-Dame-des-Aydes.

    Je n’y vais pas, j’ai déjà dit pourquoi.

    Monseigneur l’évêque prend la parole et la cérémonie se termine par la procession du Très Saint Sacrement.

    Aujourd’hui – dans toute la France – a lieu la quête faite pour les éprouvés de la guerre. Chaque quêteuse remet au donateur une pochette dans laquelle se trouve soit une image, soit un numéro ; chaque numéro est remboursable par un lot, dont le plus gros est de 25 000 francs.

    [27 septembre] Le front est percé en 2 endroits ! En Artois et en Champagne !! En Artois du côté de Lens et de Souchez ; en Champagne entre Perthes-lès-Hurlus, et Aubérive-sur-Suippe. Il est inutile de s’étendre sur des détails, ce qu’il est consolant de dire c’est que vingt-mille prisonniers ont été faits en 2 jours, et qu’un matériel considérable a été pris.

    C’est le commencement de la fin ! Attendons encore et réjouissons-nous en silence.

    Les troupes françaises et anglaises se sont vaillamment comportées.

    Mais en regardant la carte du front, on ne peut s’empêcher de remarquer que les 2 endroits choisis sont aux mieux de nos intérêts, et que les deux colonnes lancées par les deux percées ne pourront, en s’avançant, et en se resserrant , que former une formidable tenaille, un vaste filet qui enserrera ou retiendra, s’ils ne se retirent eux-mêmes – et à temps – les hordes sauvages du roi fou et criminel.

    Attendons ! Mais, dans mon humble compétence, il me semble que cela ne va pas mal.

    J’ai attrapé un tel rhume jeudi à Maslives que je suis obligé de remettre ma veille de ce soir à l’ambulance. Je tousse et j’ai la tête brûlante.

    [28 septembre] Vive la France !

    L’offensive est donnée. Cette fois-ci ça y est !

    Le « grand coup » est commencé. Le 25 septembre, après un bombardement effroyable des tranchées allemandes par notre admirable artillerie, qui dura 70 heures !, à 9 heures 15 – très exactement – fut donné l’assaut. Ce fut une véritable vague. La vague française qui déferlait avec son impétuosité, sa furie et son entrain endiablé. Véritable raz-de-marée qui nivela et emporta la première ligne de tranchées allemandes. 23 000 prisonniers (dont près de 400 officiers) furent faits par nos vaillantes troupes, tant en Champagne qu’en Artois, où nous prîmes le village de Souchez tant disputé depuis des mois ! 79 canons, des mitrailleuses en nombre incalculable, un matériel considérable, tombèrent en nos mains.

    C’est une victoire qui dépasse celle de la Marne ! Et pourtant !...

    De leur côté, nos braves et vaillants alliés, les Anglais, firent en Artois un assaut incomparable, prirent Loos – aux portes de Lens, poursuivirent leur poussée jusqu’aux secondes lignes boches – plus fortifiées encore que les premières lignes – qu’ils prirent également. Leur bilan en prisonniers allemands fut de 2 700, 9 canons et de nombreuses mitrailleuses !

    Voila l’élan donné ! Il ne s’arrêtera pas, que pour reprendre de nouvelles positions d’attaques, nécessaires à notre merveilleuse artillerie.

    En avant ! Pour la civilisation ! Pour la France !!

    Ce soir je vais aux Montils, à bicyclette par la forêt, et je reviens par le tramway- que je prends – à la nuit tombée, à Chailles.

    En raison de l’offensive générale nous ne recevons plus, ou presque plus de lettres du front.

    Ce soir – cependant – voici une carte de Marcel Perly qui me dit qu’il est de retour au front et qu’il est en bonne santé, et c’est tout.