• 22, 23, 24 et 25 septembre 1915

    [22 septembre] Charlot m’écrit ce matin :

    « Repos le 18-9-15

    Cher oncle

    Tranquillisez-vous, je suis en bonne santé, j’ai votre lettre recommandée avec les 10 balles dedans, ils m’ont fait grand plaisir et je vous en remercie beaucoup.

    Aujourd’hui j’expédie dans une lettre un joli petit souvenir à Mme Legendre, c’est un petit mouchoir brodé ; il y a dessus « sur les bords de l’Yser, Nieuport (Saint Georges), Viard Charles. » ; il est très joli, sa couleur est mauve. Vous me direz comment il est ; il y a aussi tous les drapeaux des alliés. N’en parlez pas à votre mère ; si vous le trouvez bien j’en enverrai un à votre sœur. Je vous écris, il est 6 heures du matin, je me dépêche car il faut que je prenne la faction. Je n’ai pas de nouvelles de Descamps.

    Bien le bonjour à Mme Legendre.

    Je vous embrasse de tout cœur. Viard Charles. »

    Le bon Charlot a bon cœur. Je réserve la surprise à maman !

    Les Russes reculent toujours, Vilna [actuelle Vilnius, Lituanie] (250 000 habitants !) vient de tomber aux mains des Allemands. Riga va y tomber incessamment. Et l’on dit que les Russes font des 5 000, 10 000 prisonniers, et que c’est parfait !

     

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    Blois.- La rue Porte-Côté et le Grand hôtel.- 6 Fi 18/673. AD41

     

    Le « Grand hôtel de Blois », vient de fermer, et cela jusqu’à la fin de la guerre. « Les affaires reprennent ! » disent les journaux. En voilà une preuve.

    [23 septembre] Avant-hier a eu lieu à Paris, à la Madeleine, le sacre de monseigneur Rivière, ancien curé de la Madeleine, le nouvel évêque de Périgueux.

    Depuis lundi dernier – sur l’ordre de monseigneur l’évêque de Blois – est commencé, dans toutes les églises du diocèse, une neuvaine à Saint Michel, au cours de laquelle sont récitées les invocations :

             Regina Angelorum, ora pro nobis,

             Sancte Michael, ora pro nobis,

             Sancte Auberte, ora pro nobis.

    Ce tantôt je vais (aller et retour) à Maslives (près de Chambord) par le tramway électrique qui, aujourd’hui, marche….à la vapeur. La machine électrique est détraquée. On dit, du reste, que toutes les machines, de l’usine génératrice des Montils, sont boches. Ce n’est pas étonnant si ça marche si bien.

    [24 septembre] Charlot écrit à maman :

    « Secteur 131 - 18-9-15. »

    Chère madame,

    Je profite de quelques instants de repos pour vous donner de mes nouvelles qui sont très bonnes, et je désire que ma lettre vous trouve de même. Je joins à ma lettre un petit souvenir qui a été fait à 5 kilomètres de l’Yser, malgré les bombardements. Je n’oublie pas les beaux jours que j’ai passés à Blois et je vous en remercie de tout cœur.

    Bien le bonjour à M. Paul.

    Je termine en vous embrassant bien des fois.

    Viard Charles. »

    Et dans la lettre était joint un charmant petit mouchoir de soie rouge cardinal, avec les 5 drapeaux des alliés brodés, avec l’inscription 1914-1915 et au dessous- brodés également – les mots « Sur le bord de l’Yser, Saint Georges, Viard Charles. »

    C’est très gentil et ce petit cadeau sera le plus précieux souvenir qu’il soit. Le brave petit, il cherche toujours ce qu’il va faire pour nous faire plaisir !

    Maman va lui répondre.

    Pierre Gallon m’écrit aussi ; il me dit qu’il est en bonne santé, qu’il a vu Charles lorsqu’il était à l’infirmerie.

    « Je vous écris – me dit-il - pas très loin d’un maudit canon qui me fait trembler malgré moi quand il tire, les obus – eux-mêmes – n’ont pas l’air trop content, car ils ronflent sérieusement en partant. »

    Sa lettre est datée des « Caves de N… le 19 septembre 1915. »

    La pluie, depuis si longtemps attendue, commence à tomber. Adieu les beaux jours ! Ils reviendront avec la Victoire !!

    Ce soir une nouvelle lettre de Charlot.

    « Secteur 131 – le 21 – 9 – 15

    Cher oncle

    J’ai reçu votre lettre du 31 mai. Ah ! vous parlez si le service de la poste est bien fait. J’avais écrit au vaguemestre, voilà 3 mois, qu’il m’envoie les lettres qui arrivaient au « Grand Palais », mais il n’en a rien fait ; enfin ça ne fait rien.

    Vous savez ! Le marin qu’il y avait eu à l’hôpital avant moi, celui que Mme Gérardin avait fait mettre dans sa salle, il a été tué, voilà une huitaine de jours à Nieuport par un shrapnel, il s’appelait [Jean] Saumet. Je l’avais vu quelques jours avant, il était venu dire bonjour au lieutenant, il avait l’air d’être un bon garçon.

    Descamps m’a écrit sa blessure n’est pas grave ; il est en France, à Zuidcotte [Zuydcoote], mais il ira dans le centre ; enfin il est en bonne santé. Je joins sa lettre à la mienne. Madame Legendre a dû recevoir le petit mouchoir. Je suis toujours en bonne santé et j’espère que ma lettre vous trouvera tous de même. Embrassez votre mère pour moi. Je termine en vous embrassant de tout cœur.

    Viard Charles. »

    Pauvre Saumet ! Il n’y a pas 8 jours Mme Gérardin – à l’ambulance – me parlait de lui en des termes remplis d’affection et de bonté. Pauvre petit marin ! Il était de l’âge de Charles !

    Voici la lettre de Marcel Descamps écrite à Charlot.

    « Zuydcoote 16 septembre 15

    Bien cher ami

    Je suis à Zuydcoote depuis 2 jours, j’ai passé une nuit à Coxyde, nous sommes très bien soignés, mais ça n’empêche pas je me m’ennuie à mourir car je voudrais bien être évacué sur l’intérieur, comme on se le disait souvent ; et puis je voudrais bien te voir à coté de moi ; partir l’un sans l’autre ça n’a jamais été mon idée ; mais, enfin, il faut espérer que cela vienne plutôt que l’on ne croit.

    Si tu as gardé mon paquet de lettres et si tu ne peux pas me les faire parvenir, fais les brûler, je compte sur toi. S’il y arrive, aussi des lettres, envoie-moi les à l’hôpital, et s’il y a, par exemple, un colis, tu en feras ce que bon te semblera, je compte sur toi pour faire ce que je viens de te dire.

    Quant à ma blessure elle n’est pas bien grave, malgré que j’ai une fracture du péroné ; en plus j’ai aussi une plaie à la cuisse gauche ; je crois en avoir pour quelques temps à l’hôpital. Tu donneras bien le bonjour de ma part à Joséphine, ainsi qu’aux copains. Reçois de ton ami intime une affectueuse et cordiale poignée de mains.

    Marcel. (Hôpital de Zuydcoote salle 18) »

    [25 septembre] L’orage gronde du côté des Balkans !

    Voici que la Bulgarie se met aux côtés des Allemands, des Autrichiens et des Turcs, contre la quadruple entente ! La Bulgarie mobilise et menace d’envahir la Serbie pour frayer un passage aux Austro-boches vers Constantinople.

    La Grèce, alliée à la Serbie, mobilise à son tour contre la Bulgarie. La Roumanie, elle, n’est ni chair, ni poisson ! N’est-ce pas une honte de voir la Bulgarie s’allier à ses séculaires persécuteurs de Turquie, contre lesquels, elle était en guerre il y a 2 ans ! N’est-ce pas une honte de voir ce roi de Bulgarie, ce Ferdinand renégat, renégat à sa foi catholique en embrassant la religion orthodoxe, renégat à la France, lui le fils de la princesse Marie-Clémentine d’Orléans – fille de Louis-Philippe -, renégat à sa famille maternelle.

    Constantinople va–t-elle nous échapper ? Il est temps, grand temps d’agir.

    Qu’attendons-nous ?

    Ce n’est plus de la guerre, c’est de la folie !

    L’incendie s’allume partout à la fois.

    En vérité trois ou quatre bonshommes, plus ou moins couronnés, ont-ils le droit de jeter ainsi la mort à pleines mains, de semer les deuils, de répandre l’assassinat, causer tant de vides, tout de peines, tant de ruines ? Serons-nous civilisés tant que la guerre existera ? Je n’y connais rien, sans doute, car je dis que ce n’est pas de la guerre, que ce n’est que de la sauvagerie. Et que nous importe à nous autres ces convoitises criminelles de ces puissants qui se jalousent et se volent telle ou telle partie de leur territoire ! C’est de la folie.

    Que de pauvres gens tombent, oubliés et inconnus, emportés dans ce tourbillon infernal ! Ils meurent – humbles moutons du troupeau – sans connaître la vérité de l’agression, tandis que les bergers couronnés les mènent à la boucherie. Que d’actions de héros ! Que de belles intelligences disparues !!

    Demain l’oubli planera sur eux.

    Je le dis en toute sincérité cette guerre devra être la dernière si nous voulons être des peuples civilisés.

    C’est au représentant de celui qui a dit : « Aimez-vous les uns les autres » à abolir la guerre, et à ne jamais se lasser de le demander, sur une base sûre et certaine, tant que le Souverain Pontife ne l’aura obtenu. C’est à Lui à tout faire pour abolir la guerre !

    Que cette guerre continue puisqu’elle est commencée, puisque nous ne l’avons pas demandée. Allons-y ! Jusqu’au dernier combattant, s’il le faut ! Mais de grâce, la guerre aussitôt finie, que s’élève la voix de Notre-Seigneur proclamant à jamais l’abolition de la guerre.

    Alors, mais seulement alors, nous serons des civilisés et de vrais enfants du Dieu de paix, Créateur des créatures, Auteur de la vie, seul Roi du monde, Créateur de l’Univers !...