• 17, 18, 19, 20 et 21 septembre 1915

    [17 septembre] Berthe nous écrit, entre autres choses :

    « … J’ai reçu ce matin une lettre de Charles ; il va bien mieux. Il espère venir en permission dans 2 mois, il dit « c’est encore loin, mais ça passera vite tout de même ». Depuis quelques temps il m’appelle « ma chère marraine » Pauvre petit ! »

    Il arrive de nouveaux blessés à Blois.

    Je vais à un enterrement à Saint-Vincent, à 4 heures, d’une pauvre femme, Mme Veuve Chaton, rue des Hautes Granges, 48, chez laquelle demeurait un de mes anciens commis Félix Labbé.

    Charles m’écrit :

    « La tranché le 13/9/15.

    Cher oncle

    J’ai reçu votre lettre m’annonçant que vous avez reçu le ruban, soyez sans crainte il ne me fait pas faute ; je l’ai demandé exprès pour vous l’envoyer ; il est tout neuf, il est joli. J’ai profité d’un permissionnaire de ma compagnie pour envoyer mes cartes postales chez votre sœur ; elle vous le fera parvenir, il y en a au moins 60, ça fera un joli album avec ce que j’ai déjà chez vous. Il y a aussi 2 porte-plumes, mais ils ne sont pas finis ; il y en a un pour vous, l’autre pour votre sœur. Je n’ai pu envoyer autre chose, car il partait comme j’arrivais de l’infirmerie, et je ne voulais pas le charger, car il avait beaucoup de commissions. Les nuits commencent à se faire froides, mais je n’ai encore besoin de rien et j’espère aller en permission avant l’hiver, mais pas avant 2 mois, c’est encore long ; mais j’espère que ce sera vite passé. Je suis toujours avec mon camarade Marcel, il vous souhaite bien le bonjour, c’est un bon garçon et on s’entend très bien tous les deux. J’ai vu Pierre voilà deux jours, il s’étonne que vous ne lui écriviez pas, il est toujours en bonne santé. C’est inutile de mettre du papier à lettre dans vos lettres en ce moment, j’en ai. J’espère que ma lettre vous trouvera en bonne santé, ainsi que votre mère. Embrassez là bien pour moi. Je n’ai pu lui envoyer ce que je voulais, mais dans 2 jours nous allons au repos, je lui enverrai. Vous pourrez me mettre un billet de 5 francs dans la prochaine lettre, je vous en remercie à l’avance.

    Je termine en vous embrassant de tout cœur.

    Votre neveu à la mode de France qui ne vous oublie pas. Charles Viard. »

    Par le même courrier me vient une lettre de Berthe qui me dit :

    « Paris, 15 Sept. 1915

    Mon cher Paul

    Nous avons bien reçu tes deux lettres une lundi et l’autre hier matin, dans laquelle tu me dis que Charles est malade. Je lui ai écrit hier soir et étant rentrée à la maison la concierge nous monte un petit paquet et une lettre qui lui avaient été remis par un marin qui lui avait dit «  de la part d’un fusilier marin comme moi, c’est pour sa sœur. » La lettre me disait qu’il profitait de la permission d’un camarade pour m’envoyer ses cartes postales pour te les remettre, il y avait également 2 porte-plumes faits avec des balles, un pour toi et l’autre pour nous.

    Il ne parle pas du tout de sa maladie et sa lettre était datée du 11 ; la tienne ne devrait pas être plus récente. J’espère qu’il va être ramené à l’arrière s’il est malade ; préviens-nous lorsque tu auras des nouvelles.

    Nous avons bien trouvé toutes les photos jointes à ta lettre de lundi, les poilus passent de bons petits moments, ils font bien. Celle où est Charles est très bien, il est bien reconnaissable.

    Je suis bien contente que tu ne sois pas visé par la loi Dalbiez, je craignais. La chambre va voter ces jours-ci l’incorporation de la classe 17 ; on parle du 15 octobre, heureusement que ce premier départ ne nous touche pas non plus.

    … Je t’embrasse bien fort.

    Ta sœur : B. Randuineau. »

    En même temps Charles envoyait un carte à maman, « La Panne – Soleil couchant »,

    « Un grand bonjour de celui qui ne vous oublie pas. Viard Charles. »

    [18 septembre] Les mitrailleuses font résonner les échos de la forêt ce matin.

    « La tranchée, le 14-9-15

    Cher oncle

    Je vous ai dit dans ma lettre d’hier que Marcel Descamps était en bonne santé ; il a été blessé, hier au soir, par une torpille ; il a été blessé au pied – à la cheville – mais pas grièvement ; il peut dire qu’il l’a échappé [belle], deux de ses camarades ont été tués. Il est parti en arrière et il va, sans doute, rentrer en France. Je vous donnerai de ses nouvelles. J’ai reçu votre lettre m’annonçant que vous avez reçu enfin ce fameux colis, il est enfin arrivé à Blois, mais c’est déjà le principal.

    Je recevrai sans doute le paquet de tabac au repos. Je vous remercie beaucoup.

    Embrassez bien Mme Legendre pour moi. Je termine en vous embrassant de tout cœur. Viard Charles. »

    Pauvre Descamps ! Espérons que ce ne sera rien ; mais il l’a échappé belle.

    [19 septembre] C’est aujourd’hui à Notre-Dame-des-Aydes le jour de pèlerinage des jeunes filles, des dames et des religieuses de Blois.

    La journée se passe belle et ensoleillée. Quel bel automne ! Malgré la journée du dimanche les mitrailleuses, ce matin, mitraillent le coteau de la forêt.

    [20 et 21 septembre] Ce matin le facteur me remet une carte quelconque de P. Darras : une villa quelconque de Villennes où il est hospitalisé.

    Charlot m’écrit :

    « Repos – le 15-9-15

    Cher oncle,

    Nous voilà au repos encore pour 4 jours et ensuite la tranchée. Voilà bientôt 4 mois que j’ai quitté Blois et que je fais ce truc là. Ce n’est plus la même chose que chez vous et je prendrais facilement encore 1 mois de repos et le passer comme je l’ai passé chez vous, car je commence à en avoir besoin ; les jambes ne veulent plus me traîner, c’est de la fatigue, mais je tiens toujours bon ; mais, malgré ma bonne volonté, je ne pourrai plus aller bien loin, mais j’espère que la guerre n’ira plus bien loin et que je pourrai la finir, et qu’après je pourrai prendre un peu de repos.

    J’espère que ma lettre vous trouvera en bonne santé, ainsi que votre mère, vous lui souhaiterez bien le bonjour de ma part et que je ne l’oublie point. Je termine en vous embrassant de tout cœur.

    Votre neveu à la mode de France qui ne vous oublie pas. Viard Charles. »

    Le brave petit ! Il ira jusqu’au bout.

    Ce soir, je vais aux Montils (aller et retour par la forêt). En allant, la route de la Croix-Rouge est barrée par une sentinelle, armée d’un… bâton, qui me fait rebrousser chemin en raison du danger qu’il y a à traverser l’allée – sur une certaine distance – pendant que les mitrailleuses mitraillent au champ de tir. Certaines balles sont tombées de l’autre côté de l’allée et jusqu’au carroir de la Croix-Rouge. Il y a, en effet, vraiment du danger.

    Je reviens donc sur mes pas et prends une petite sente sous bois, ce qui ne manque pas d’un certain charme. Je reprends, plus loin, au-delà de la Croix-Rouge, l’allée des Montils.

    Ce soir je vais à l’ambulance. Des blessés – 20 – sont arrivés ce tantôt ; il y a des soins à leur donner cette nuit, mais ils ont été mis à la salle 4, et on m’assigne les salles 1, 2 et 3, où il n’y a presque plus de blessés et où je n’ai rien à faire de la nuit. C’est stupide ! Si je donne mon temps c’est pour faire quelque chose et être utile, et non pour dormir. En rentrant, ce matin mardi, j’écris à M. l’administrateur lui demandant d’être mis – à l’avenir – dans la salle où je serai utile. J’ai une horreur profonde de l’oisiveté. Je verrai ce que sera la réponse.

    Ce tantôt arrive encore de nouveaux blessés. Les rues sont sillonnées d’autos et de tramways transportant des blessés. Pauvre gens !

     

    ambulances

    Camion automobile ambulance du service de santé.- Agence photographique Meurisse.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (2545)

     

    Un ordre étant arrivé, d’autres sont évacués sur les ambulances secondaires. Les ambulances de Blois, devront être – à l’avenir – comme celles des autres villes placées sur la grande ligne de chemin de fer – réservées aux grands blessés.

    Ce tantôt je vais voir le docteur Ferrand. Il m’ausculte à nouveau et me trouve aussi bien que possible.

    L’analyse de mon urine, qui ne donne ni diabète, ni albumine, le satisfait pleinement. Il me conseille de suivre le régime qu’il m’a prescrit, puis de continuer les remèdes pendant 2 mois encore.

    Je m’en remets à sa compétence justifiée.