• 13, 14, 15 et 16 septembre 1915

    13, 14, 15 et 16 septembre 1915

    [13 et 14 septembre] Le facteur m’apporte, ce matin, de mauvaises nouvelles de Charles.

    « Infirmerie 1er régiment 8-9-15

    Cher oncle

    Je vous écris, il est 1 heure. Ce matin j’allais mieux, à présent la fièvre me reprend, je ne sais pas encore quelle maladie je vais faire. J’ai les genoux enflés, le bras gauche aussi, il ne me reste plus que le bras droit de bon, la tête me fait atrocement souffrir. Je vais tâcher de rejoindre ma compagnie et de là, peut-être, j’irai plus loin car je ne peux pas rester à l’infirmerie, car nous n’avons aucuns soins. Écrivez à Paris car je ne puis écrire plus d’une lettre, je n’ai plus la force. Je voulais y écrire aujourd’hui, mais je vous dis que je n’ai plus de force, je me trouve mal à chaque instant.

    Ne vous faites pas de mauvais sang, car, moi, je ne m’en fais pas.

    Embrassez bien votre mère pour moi.

    Je termine en vous embrassant.

    À demain : Viard Charles (toujours la même adresse.) »

    Pauvre enfant ! Qu’est-ce qu’il va avoir ? Cela m’inquiète beaucoup.

    « L’écho de Paris », après avoir expliqué la nouvelle loi Dalbiez, appelant à nouveau devant des visites médicales certains hommes de certaines classes pas encore appelées, annonçait qu’il mettait son rédacteur militaire à la disposition des lecteurs qui auraient besoin d’explications.

    J’ai donc écrit, expliquant mon cas, ma classe, la visite déjà passée en novembre 1914, etc demandant si j’étais obligé à une autre visite, etc. Je reçois ce matin la réponse suivante :

    « L’écho de Paris                                                  Paris, le 12 Septembre 1915

    6 place de l’Opéra

    Paris

    Monsieur,

    La situation que vous m’exposez n’est pas visée par la loi Dalbiez. L’intéressé n’a aucune visite à passer, ni aucune démarche à faire.

    Veuillez agréer Monsieur, nos salutations distinguées.

    Signé : illisible. »

    Me voilà tranquille et je ne suis pas fâché de ne pas repasser encore une autre visite.

    Je vais aux Montils (aller et retour par la forêt). Ce soir je reprends mon service à l’ambulance 1 bis ; les salles 1 et 2 sont pleines, mais les blessés sont en bonne voie de guérison et il n’y a rien à leur donner de la nuit. A la salle 3, il y a 3 blessés. Comme le nombre des infirmiers est réduit pour l’instant, qu’il n’y a plus de religieuses, je suis seul à veiller toute la nuit les 3 salles. Je fais mes rondes avec ma petite lampe pigeon, de lit en lit. La salle 4 est vide.

    Les dames infirmières sont aussi très réduites, les vacances durent encore, de sorte qu’il y a des permutations de salle en attendant la rentrée définitive, qui ne saura être longue à venir – hélas !- car un « grand coup », une offensive générale doit être prise – ces jours-ci – sur tout le front.

    La nuit se passe calme, et le premier oiseau qui chante dans les airs, avec les premières lueurs du jour, est un superbe aéroplane qui remonte vers le nord.

    Au retour à la maison, ce matin mardi, le facteur me remet de meilleures nouvelles de Charles.

    C’est une carte représentant « Pervyse, Belgique, après le bombardement par les allemands ».

    « Le 9-9-15,

    Aujourd’hui je vais beaucoup mieux. J’espère que ça va continuer. Avez-vous vu Mme Gérardin, elle a dû vous donner ce que je vous avais promis. Avez-vous reçu la bague ? Écrivez-le-moi. Bien le bonjour à Mme Legendre. Je vous embrasse bien fort : Viard Charles. »

    Voici donc de meilleures nouvelles ; il n’a pas encore reçu mes lettres le remerciant de sa bague et de l’obus.

    Les mitrailleuses mitraillent la côte de la forêt ce matin, à la cible, et nous donnent à nous, gens de l’arrière, la sensation en petit de la guerre.

    Ce soir encore une carte de Charlot ! Ca va bien.

    « Une autre vue des ruines du village de Pervyse. »

    « Le 10-9-15. Cher oncle

    Je suis à peu près rétabli. Je rejoins ma compagnie demain. J’espère que ma carte vous trouvera en bonne santé.

    Bien le bonjour à Mme Legendre. Je vous embrasse de tout cœur. Viard Charles. »

    Allons ! Le voilà retapé encore une fois. Tant mieux !

    Espérons et souhaitons que cela durera.

    [15 septembre] Ai-je dit qu’un sous–secrétariat des munitions, avec M. Albert Thomas était créé ? Un autre à l’aviation, avec M. [René] Besnard (le député de Tours) vient d’être créé. Que donneront ces rouages ? L’avenir l’apprendra.

     

    albert thomas

    Albert Thomas, député de la Seine.- Agence photographique Meurisse.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (2508)

     

    rené besnard

    René Besnard, député d'Indre-et-Loire.- Agence photographique Rol.- BNF, département Estampes et photographie, EST EI-13 (328)

     

    On dit (on dit !) qu’actuellement le « grand coup » tant attendu est, enfin, commencé ! Nous ne le saurons qu’à la fin – dans combien de semaines ! – et s’il est couronné de succès. Il y a – paraît-il – un entassement incroyable de canons de tout calibre, des montagnes de munitions sur tout le front.

    Ça doit chauffer ! Mon Dieu donnez-nous la juste victoire !...

    [16 septembre] «  La tranchée le 12-9-15

    Cher oncle,

    Je suis de nouveau à la compagnie et je n’en suis pas fâché. Je suis en bonne santé quoique j’ai des douleurs qui me font encore souffrir, mais ce n’est que la fatigue. Il faut espérer que la guerre ne durera pas bien longtemps à présent, j’en suis sûr et nous aurons la victoire. J’espère que ma lettre vous trouvera en bonne santé.

    Embrassez bien Mme Legendre pour moi.

    Votre neveu qui vous embrasse bien fort.

    Viard Charles. »

    Charles a toujours dit que la guerre ne durerait pas longtemps ! « Il en est sûr, dit-il ». Hum ! « Nous aurons la victoire ! » Voilà une parole de brave. Enfin il est en bonne santé.

    Le ministre de la guerre décide d’appeler la classe 1917 le 15 octobre prochain ! C’est la classe de Robert ! Il sera appelé – sans doute – à repasser une nouvelle révision, lui qui a été ajourné !...

    Ai-je dit que le généralissime Joffre était allé en Italie, visiter le front italien. Ce déplacement ne doit pas être « pour des prunes. »

    Le ciel blésois est de plus en plus sillonné de nombreux aéroplanes.