• 11 et 12 septembre 1915

    11 et 12 septembre 1915

    [11 septembre] J’ai fait analyser mon urine sur le conseil du docteur, elle ne renferme ni albumine, ni sucre, mais beaucoup de phosphate. Avec cette analyse – dont je suis satisfait – je retournerai voir le docteur.

    Notre cher Robert nous écrit :

    « Paris, le 10 septembre 15,

    Chère grand-mère

    Cher oncle

    … Quant à moi, je travaille toujours à la C.C.C.G. où je suis depuis 6 semaines, je m’y plais bien et le travail est intéressant. Je suis avec un ingénieur des Arts de la promotion d’Aix 1873 et j’ai pour chef un autre ingénieur des arts.

    Je suis très bien dans cette maison parce que l’on me donne des conseils pour dessiner et l’on vient à mon aide lorsque je suis embarrassé par quelque chose. J’espère y rester jusqu’à la fin de la guerre ou… jusqu’à ce que je parte à mon tour. Je ne pense pas changer parce que je ne trouverais pas mieux, ni plus près de chez nous. Si je ne m’étais pas adressé à la société des anciens Gad’Z‘arts je n’aurais certainement pas si bien trouvé.

    Maman a reçu de Charles 2 bagues en aluminium, la première porte une incrustation en cuivre en forme de cœur ; la dernière simule une ceinture autour du doigt, avec la boucle et l’inscription « 14-Yser-15 ». Nous avons également reçu deux lettres de lui, la première du 2 septembre disant qu’il serait au repos le lendemain. Dans la deuxième, du 5 septembre, il a reçu le colis à maman, ainsi qu’un de Blois. Il dit vous avoir envoyé une bague, il est toujours en bonne santé.

    Mon oncle pense–t-il qu’avec la loi Dalbiez, les auxiliaires qui ont passé la révision avant le 20 mai doivent la repasser dans le mois de septembre ?

    Actuellement les ajournés des classes 13, 14, 15 qui ont passé le conseil avec la classe 17, rejoignent leurs régiments. On ne parle encore pas de la classe 17[1], ni de la classe 87.

     

    dalbiez député

    Victor Dalbiez, député des Pyrénées Orientales.- Agence photographique Meurisse.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (2511)

     

    Dans l’espoir que ma lettre vous trouvera en bonne santé je vous embrasse de tout cœur.

    Votre petit-fils et neveu : R. Randuineau. »

    Léon Courtioux[2] qui depuis la mobilisation est dans l’Hérault, sur les bords bleus de la Méditerranée au train des équipages, vient de partir pour la région de la Champagne. Il s’approche du front.

    Allons bon ! Voilà Charlot malade.

    Il m’écrit ce matin

    « Infirmerie régimentaire 7-9-15

    Cher oncle,

    Je vous écris ces deux mots pour vous dire que je suis à l’infirmerie, je suis très fatigué et j’ai beaucoup de fièvre. J’espère que ce ne sera rien et que je retournerai prendre ma place auprès de mes camarades.

    Je vous écrirai demain ce que le docteur m’aura dit. Vous ne trouverez pas Descamp sur la photo, il était de service ce jour-là.

    Vous me demandez ce que c’est qu’un supermanougt [super-Dreadnought] ? C’est plus grand qu’un cuirassé ; c’est un des plus grands navires de guerre.

    Embrassez bien madame Legendre pour moi.

    Je termine en vous embrassant.

    À demain : Viard Charles. »

    Ah ! Voici que ce matin m’arrive le fameux « chouette colis » envoyé et annoncé par Charles. Il a été apporté ici, du front de Nieuport par le lieutenant Gérardin, et il m’est apporté à la maison par une parente aimable de Mme Gérardin. C’est un… bel obus boche de 0,070 environ, haut de 0,20 centimètre, avec embague [sic] en acier, bague en cuivre rouge et fût peint en bleu émail ; il est très joli et j’en suis très fier. Cela me fait un superbe vase dans lequel je mets un bouquet de bruyère cueilli dimanche dans la forêt. Il pèse un poids respectable et il fait le plus ravissant effet sur mon bureau. Mon musée des choses de la guerre augmente de plus en plus.

    Je suis très content et j’écris à Charles pour lui exprimer toute ma joie et ma reconnaissance.

    Henri Corbin m’envoie une carte représentant une cheminée de l’hôtel Mauroy à Troyes.

    « 8 Septembre 1915.

    Monsieur Legendre

    Je profite d’être au repos pour vous envoyer un petit mot comme je vous l’ai promis. Je descends des tranchées où ma compagnie occupait un bien mauvais poste en cas d’une attaque des boches. Pour ma part j’ai passé cinq jours dans un petit poste où nous ne pouvions communiquer avec les camarades que la nuit, car il fallait traverser une certaine partie de terrain découvert en face des tranchées ennemies. Trois obus de 77 sont tombés dans le poste, heureusement que tout s’est très bien passé et que sur les 4 hommes que nous étions aucun n’a été touché. Je vous dirai que j’ai fait un bon voyage de retour et que je suis toujours en bonne santé. J’espère – monsieur Legendre- que vous êtes de même ainsi que votre maman à qui vous souhaiterez bien le bonjour de ma part. Vous m’avez demandé de vous raconter comment j’ai emmené M. Pellevant, la prochaine fois que je vous écrirai je tâcherai de vous raconter cela aussi bien que possible.

    Je finis en vous serrant cordialement la main et vous envoie un sincère bonjour ainsi qu’à madame Legendre et croyez toujours, monsieur Legendre, à ma sincère reconnaissance.

    Henri Corbin. »

    C’est un brave garçon !

    [12 septembre] Un temps ravissant. Après-midi je vais au bord de la Loire essayer de pêcher, à la petite plage au bas de la pente de Chailles, mais il n’y a presque pas d’eau et ça ne mord pas. Alors je plie mes lignes et je reste, assis sur le sable, à lire « La terre qui meurt » de René Bazin. Je l’ai déjà lue, mais je la relis avec plaisir et intérêt. À mes pieds le fleuve coule doucement, les fils de la Vierge commencent à passer. Ô idéal automne tu passes trop vite !...

    Je reviens assez tôt, vers 5 heures. La foule sort de l’église de Vienne où a eu lieu – comme l’année dernière à la même époque – tous les dimanches – les pèlerinages à Notre-Dame-des-Aydes. Aujourd’hui a lieu le pèlerinage des enfants, tous ont et doivent avoir un drapeau de la France !

    Je n’aime pas beaucoup ces bruyantes et tapageuses démonstrations de piété (?), qui ne prouvent rien et servent à rien. L’année dernière, j’étais en « froid », avec mon curé[3] et son vicaire[4], je n’y suis pas allé, cette année je suis meilleurs termes, mais je n’irai pas d’avantage. Je veux dans la foi, dans les manifestations de la foi, comme dans tout autre chose, rester libre et très indépendant.

    [1] Classe 17, celle de Robert, classe 87, celle de son père.

    [2] Entrepreneur de maçonnerie rue Lavoisier.

    [3] M. l’abbé Motte.

    [4] M. l’abbé Hibry.