• 9 et 10 juillet 1915

    9 et 10 juillet 1915

    [9 juillet] Que dire de la guerre ? Rien, si ce n’est qu’elle dure toujours, qu’elle est stationnaire, que le front est toujours le même.

    L’admirable revue « L’art et les artistes » fait paraître un précieux n° spécial sur « La Belgique martyre », avec des illustrations incomparables, un bois original de Pierre Gusmann « consummatum est », un avant-propos d’Armand Dayot. Ce n° deviendra, avant peu, une rareté d’art. « Périsse la Belgique plutôt que l’honneur ! » a dit le Roi Albert à son armée le 1er septembre 1914. La Belgique est punie comme jamais peuple ne le fut, pour avoir fait son devoir, comme jamais peuple ne le fit » a dit le délicat penseur et poète Maurice Maeterlinck.

    Charles m’envoie une carte représentant : « Les ruines de l’église de Ramscapelle ».

     

    ruines de ramscapelle

    A Ramscapelle, intérieur de l'église.- Agence photographique Meurisse.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (2539)

     

     

    « Les Dunes, le 7 juillet 15

    Cher monsieur Paul

    Je vais vous envoyer des collections de cartes de la guerre. Le lieutenant est revenu, il est très bien portant, mais il l’a échappé belle. J’ai passé à Ramscapelle, c’est tel que c’est sur la carte. Ils ne respectent plus rien ces sales boches. Bien le bonjour à tous. Je vous serre cordialement la main. Viard Charles. »

    À maman il envoie une carte : « Les ruines de Termonde (Belgique), le couvent des dames de Notre-Dame ».

    « Affectueux souvenir d’un marin qui ne vous oublie pas. Viard Charles »

    À Robert il envoie « Une revue passée sur la grande place de Furnes ».

    « Cordiale poignée de main. Ton ami. Viard Charles »

    Une carte que j’avais envoyée à Dargent, à Landerneau, me revient. Est-il retourné au front ? Est-il mort ?

    René Daveau m’envoie une carte humoristique intitulée « Presque sous les murs de Paris » ; il me demande la nouvelle adresse de Charlot.

    Ce soir arrive une lettre de Charlot :

    « Les Dunes, le 5 juillet 15

    Cher monsieur Paul

    Je suis aux dunes pour 4 jours. Je ne peux pas vous renseigner de plus sur le lieutenant, on n’en entend plus parler, mais je pense qu’il va bien. Avec l’argent que vous avez reçu, je vous demande si vous voudriez avoir la bonté de m’envoyer de suite une paire de lunettes ; plus ça va, plus j’ai mal aux yeux ; en verre jaune ou en verre blanc, ça ne fait rien.

    Ne vous tourmentez pas, ce n’est pas grand-chose. Embrassez bien Mme Legendre pour moi. Bien le bonjour à Robert. Je finis en vous embrassant de tout cœur. Viard Charles.

    Envoyez les lunettes de suite, vous me direz le prix. »

    [10 juillet] J’ai envoyé hier à Charlot les lunettes demandées ; de belles lunettes bleues. Il les recevra avec contentement, le pauvre petit !

    M. Bacquet m’écrit de Saint-Pierre-le-Moûtier :

    « Saint-Pierre-le-Moûtier, le 8 juillet 1915

    Cher monsieur

    Je n’ai pas de nouvelles récentes directes de Charles, mais Descamps par lettre du 3 m’annonce leur réunion à la 8e compagnie, j’en suis enchanté. Ces deux enfants, dans les moments de repos où l’esprit, avec plaisir, se reporte sur le passé, pourront s’entretenir du pays. Descamps est d’ailleurs un excellent camarade doux et gentil. Malgré les dangers de sa situation actuelle, je suis sûr que votre ami ne vous oublie pas et qu’il vous tient régulièrement au courant de ce qu’il fait.

    Je me loue toujours du bonheur qu’a eu Charles de vous rencontrer sur le chemin de la vie, et je vous suis infiniment reconnaissant de tout le bien que vous avez déjà fait à cet enfant.

    Ma famille se joint à moi pour vous adresser, cher monsieur, l’expression de nos sentiments les meilleurs – Bacquet »

    Hier me revenait de Landerneau une carte que j’avais envoyée à Dargent, justement – aujourd’hui - m’arrive une carte-lettre de lui :

    « Le camp des Romains, le 6 juillet 1915

    Mon cher monsieur Legendre

    Depuis que je n’est pas reçu de vots nouvelles je vous prie de croire que j’en et bien passé car depuis le 1er juin que j’ai quitter le dépôt de Landerneau pour me rendre avec le 328e dans l’Argonne et il y a quinze jours que nous somme dans les Éparges et c’est encore plus dure pour nous que dans l’Argonne, et c’est bien triste de voire touts les misères que nous passons et tous l’argent qui ce dépence pour ne pas avancer plus vite et sang encore savoire quand cela seras finie. Je suis toujours en assez bonne santé et touts ma petite famille aussi et je pence bien de tous mon cœurs que la présence de ma lettre trouveras de même monsieur et madame Legendre ainci que mon ami Viard que vous devait toujours avoire de ces bonnes nouvelles bien le bonjour de ma part à madame Legendre et à ma Sœur Marcelle que je n’est pas reçu de nouvelles depuis longtemp. Toujours votre ami qui vous serre cordialement la main. Dargent Patrice, 328e d’infanterie, 5e bataillon, 17e Cie, 13e escouade, secteure postal 110. »

    Cette lettre me fait beaucoup plaisir ; le brave Dargent n’est pas mort.

    Ce matin – à 8 h – à la chapelle de la Sainte Vierge – à la cathédrale – a été célébrée une messe pour le repos de l’âme de notre confrère de Saint-Vincent-de-Paul : Jacques Pigelet, tué à l’ennemi. J’y assistais, ainsi que d’autres membres de la conférence de Blois.