• 5, 6, 7 et 8 juillet 1915

    5, 6, 7 et 8 juillet 1915

    [5 et 6 juillet]

    « Les Meurissons, 1er juillet 1915

    Monsieur Legendre, m’écrit Marcel Perly. Pardonnez-moi si je ne vous ai pas écrit plus vite, croyez bien que ce n’est pas de ma faute, tout d’abord le manque de temps. Nous ne savons pas ce que le Bon Dieu nous réserve quoique j’ai toujours espoir de rentrer parmi les miens.

    … Nous avons depuis 3 jours, tout près de notre secteur de très forts combats qui, malheureusement, nous ont coûté très chers. Les boches nous ont attaqué, nous prenant 2 lignes de tranchées, que nous avons repris aussitôt par une contre-attaque, ce qui nous a valu beaucoup de pertes, mais ce n’est pas à comparer avec les pertes boches. Tant qu’à nous, dans notre secteur, nous sommes toujours tranquilles. Nous arrivons ce matin d’un repos de six jours, nous disons repos, mais c’est beaucoup plus fatigant que les tranchées ; la seule chose qui est agréable c’est que nous avons le bonheur d’entendre la messe en plein air.

    Je vous quitte monsieur Legendre, en bonne santé, et je vous souhaite que vous soyez de même.

    Marcel Perly »

    Charlot m’écrit :

    « Nieuport, le 2 juillet 15

    Cher monsieur Paul

    J’ai reçu le colis que votre sœur m’a envoyé. Ah ! c’était un chouette colis ! Il y avait un peu de tout. Je lui ai envoyé une lettre de remerciements. Je vous remercie beaucoup de vos 10 F., mais vous avez dû recevoir 20 F. de moi, que le commissaire vous a envoyé, c’était ma paye. J’ai changé de bataillon, je suis dans la compagnie du lieutenant Gérardin, depuis hier. Je ne verrai pas souvent Pierre. Embrassez bien Mme Legendre pour moi. Bien le bonjour à Robert. Je finis en vous embrassant de tout cœur. Viard Charles.

    Viard Charles, 1er régiment de marins, 2e bataillon, 8e Cie, 1ère section, secteur postal 131 »

    Comme il est regrettable que Charles ne soit plus avec Pierre. Certes, dans la compagnie du lieutenant Gérardin, il sera bien, mais j’avais mis toute ma confiance en Pierre – et en Charles réciproquement – en cas de maladie, de blessure, ou de mort. Hélas ! en cas de guerre il faut penser à tout.

    Charlot, dans ses lettres ne me dit pas grand-chose, je vais le lui dire et l’attraper.

    Pierre m’écrit :

    « Jeudi, 1er juillet 1915

    Monsieur Legendre

    Merci de tous les souhaits que vous faites en l’honneur de ma fête, et merci, également, pour les 10 francs que vous m’envoyiez. Je ne m’attendais, certes, pas à ça.

    J’ai vu Charles, ce matin, à deux heures, en arrivant au repos ; de suite à la relève, il prenait l’offensive déjà de bon matin et – à quatre heures – il en avait bien son compte. Il m’a offert du vin, et je vous assure que je n’en avais pas envie ; il m’a fait voir les photographies que vous lui avez envoyées ; ce qui le chagrine le plus c’est de voir la petite automobile pilotée par deux demoiselles dont une lui fait, je crois, palpiter le cœur, et il ajoute cette réflexion « Vivement que la guerre finisse, que nous allions faire une bonne tournée en auto. » Il est toujours bien gentil et il s’empresse à notre arrivée aux dunes, de venir me voir. Malheureusement il a quitté le 1er bataillon pour aller au 2e, avec un lieutenant dont il a dû vous causer, et par conséquent il m’a quitté également. Il regrette beaucoup, car nous n’aurons pas beaucoup de facilités pour nous voir, et le changement n’est pas facile, sans quoi je ferais mon possible pour aller avec lui.

    Aujourd’hui le 1er bataillon est joyeux ; figurez-vous que cet après-midi c’est la paye, aussi, ce soir, une offensive générale sera prise dans tous les bistrots.

    Donnez le bonjour de ma part à votre maman et à M. Gaudin lorsque vous aurez l’occasion de le voir.

    Je vais toujours très bien et je suis heureux de lire que vous en êtes de même ; toute ma famille va bien également. Madame Pierre Gallon se porte bien elle aussi, seulement elle est jalouse que je fréquente avec Melle Lebel.

    En vous remerciant encore une fois je termine ma lettre en vous embrassant.

    Votre petit ami : Pierre (toujours même adresse) »

    Ce soir je vais passer la nuit à l’ambulance.

    Les lits sont vides, ceux qui sont occupés ont des blessés auxquels il n’y a rien à faire. La nuit se passe dans le calme le plus mourant.

    En rentrant je trouve une carte de René Labbé :

    « 1er juillet 15

    Cher monsieur Paul

    Voilà bien longtemps que je ne vous ai donné signe de vie, vous me pardonnerez, j’en suis sûr, si vous apprenez que notre division a pris part aux combats du nord d’Arras, où nous souffrons en ce moment par des bombardements d’une violence extrême la colère des Allemands.

    Je dois vous avouer la dépression morale des troupes, et s’il me fallait vous raconter ce que nous endurons dans cette triste région où nous vivons en ce moment, dans des tranchées remplies d’eau qui nous monte jusqu’aux genoux. Encore une fois nos offensives ont échoué. Comment nous en tirerons-nous ? Vraiment je désespère et me demande si nous nous relèverons des fautes commises avant la guerre par notre triste gouvernement.

    De vos nouvelles, cher monsieur Paul, me feront grand plaisir.

    Croyez à mon plus affectueux souvenir.

    Amitiés. R. Labbé »

    Les lettres de ce brave René sont toutes intéressantes et franches. Hélas ! comme elles montrent aussi, avec courage, la vérité vraie. Oui nous en tirerons-nous ? Et les misérables qui ont ainsi conduit la France à la ruine et à sa perte, parviendront-ils à la sauver ? Que tous les électeurs fassent leur « mea culpa ! ».

    Ce tantôt – mardi - avec Robert au volant – nous allons à Marcilly-en-Gault, par la belle et idéale route habituelle. Tout le long des bois lapins, pies, faisans, perdrix et pouillards, corbeaux, courlis, merles, etc. se sauvent à notre approche. C’est que tout ce petit monde s’en donne à cœur joie ; il n’y a pas eu de chasse l’année dernière en raison de la guerre, et il n’y en aura pas encore cette année, d’après les arrêtés qui viennent de paraître ; ce qui n’annonce pas encore la fin de la guerre. « Vive la guerre ! » semblent nous dire les lapins, en faisant force cabrioles sur notre passage et en détalant, au plus vite, dans les fourrés épais et hospitaliers.

     

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    Blois.- L’évêché.- 6 Fi 18/640. AD41

     

    [7 juillet] A Blois, une nouvelle ambulance vient de s’ouvrir à l’ancien évêché. Une ambulance s’est ouverte aussi – il y a quelques semaines – à la maison de Saint-Antoine, des servantes de Marie, boulevard Eugène Riffault.

    Le général Gouraud – généralissime de l’expédition d’Orient – qui a remplacé le général d’Amade – vient d’être grièvement blessé aux Dardanelles.

    Hier pas de lettre de Charles ; en voici une ce matin :

    « La Tranchée le 3 juillet 15

    Cher monsieur Paul

    Je suis dans les tranchées. Je vous ai dit que j’étais dans la compagnie du lieutenant Gérardin. Il m’a donné un poste, je suis au téléphone ; je suis très bien. Je vais vous dire quelque chose, mais n’en parlez à personne. Hier au soir, en arrivant dans la tranchée, le lieutenant avec le capitaine sont allés voir le petit poste, et comme nous sommes à 30 m. du petit poste boche, ils ont lancé une bombe ; le lieutenant a été couvert de terre et reçu quelques éclats sans gravité ; il a été passé à la visite, mais je ne sais pas ce qu’on lui a dit, il n’est pas revenu. Je ne crois pas qu’il soit évacué ; mais n’en parlez à personne avant que je vous ai donné d’autres détails. Je suis dans la même compagnie à Marcel Descamps, vous savez celui qui m’écrivait à l’hôpital. Embrassez bien madame Legendre pour moi. Bien le bonjour à Robert, ainsi qu’à l’ambulance et à Candé. Je finis en vous embrassant de tout cœur. Votre neveu à la mode de France qui pense souvent à vous.

    Viard Charles »

    Voilà une lettre intéressante. S’il est avec Marcel Descamps, cela va bien ; j’ai lu de ses lettres et il m’a semblé un bon gars ; et puis c’est un gars du Nivernais.

    [8 juillet] Le général Gouraud vient d’avoir le bras droit coupé, à la suite de sa grave blessure reçue aux Dardanelles.

    René Daveau m’envoie une carte de Candé et me dit avoir reçu des nouvelles de Charles vendredi dernier (sa carte représente une rue d’Onzain).

    Camille Robert (de Saint-Gervais) m’écrit de Nancy :

    « Je suis à 1200 m. des boches et ça chauffe de temps en temps. Espérons la fin qui – je crois – sera longue (sa carte représente le palais ducal, à Nancy).

    Ce soir, à bicyclette, nous allons aux Montils (aller et retour par la forêt).