• 29, 30, 31 juillet et 1er août 1915

    29, 30, 31 juillet et 1er août 1915

    [29 juillet] Darras, le brave blessé qui est en traitement à Bordeaux ne m’oublie pas, il m’envoie souvent de ses nouvelles, comme ce matin.

    Tant d’autres oublient !...

    Les combats sont violents dans les Flandres. Cela me donne de l’inquiétude pour Charles.

    Ce soir, une triste nouvelle me vient de Tours.

    « Tours, mercredi

    8 bis, rue Paul-Louis Courier

    Monsieur

    Ayant entendu dire que vous étiez en relation avec monsieur l’abbé Perdriau, je viens vous faire part d’une bien triste nouvelle qui va vous faire de la peine. Vous deviez savoir que depuis un certain temps monsieur l’abbé Perdriau était à sa campagne de Ruillé[1] assez fatigué. Cette faiblesse a toujours été en augmentant et bien malade, on a pensé, c’était aussi son désir, qu’un séjour à Royat pourrait peut-être lui faire du bien. Mais il n’a pas pu aller plus loin que Buzançais où il est mort le jeudi 17 juin en pleine connaissance. Je ne doute pas que vous prierez pour lui, bien qu’il fût bien préparé pour aller au ciel.

    Recevez – monsieur – l’assurance de mes sentiments distingués.

    Louise de Maison-Rouge. »

    Cette lettre me cause la peine la plus vraie et la plus profonde. Pauvre cher ami ! Je lui avais écrit il y a quelques semaines, lui disant que j’irais le voir à son château du Gatz, où il m’avait tant invité d’aller le voir. Comme il voyageait beaucoup, j’attribuais à une absence le silence qui répondait à ma lettre. Hélas ! Il était parti en voyage, en effet, et pour le voyage éternel. Tous mes amis s’en vont les uns après les autres, et les vides se creusent sous mes pas et autour de moi. Je prie Dieu pour le repos de son âme ! J’écris à madame de Maison-Rouge pour avoir des détails sur sa mort.

    [30 juillet] La « nièce » Marthe m’écrit de « Candé le 29 Juillet 1915 » en réponse à une lettre de souhaits que je lui ai envoyée à l’occasion de sa fête :

    « Cher « oncle Paul »

    C’est de tout cœur que je vous remercie ainsi que madame Legendre – des souhaits de fête que vous m’avez adressés à l’occasion de la Sainte-Marthe. Je vous assure que vous m’avez fait grand plaisir. Jeanne m’a dit que vous n’aviez pas eu des nouvelles de Charlot depuis plusieurs jours.

    Ce silence pourrait provenir du retard des correspondances. Nous espérons bien qu’il est en toujours [en] bonne santé. J’aime à croire que vous avez de bonnes nouvelles de M. Robert depuis sont départ. Vous devez trouvez la maison bien grande ! Présentez à madame Legendre, cher « oncle Paul » avec ma reconnaissance, mon plus affectueux souvenir et pour vous notre bonne et respectueuse amitié. Votre affectionnée « nièce » Marthe. »

    Vive la Sainte-Marthe !

    Le front de France ne bouge pas, les Russes reculent, les Italiens avancent.

    [31 juillet] Un sympathique cavalier éclaireur – de nos voisins – M. Roch – a été cité à l’ordre du jour. En permission depuis 8 jours, il repart ce soir pour l’Argonne. C’est un brave et je l’invite à déguster une bonne bouteille de vin qu’il a bien gagnée. Sa croix de guerre brille sur sa poitrine.

    Pendant la guerre ma cave a baissé – en vins – c’est que je ne veux pas laisser passer un soldat qui vient me voir, sans lui offrir une bouteille. Il faut bien récompenser ces braves gens, et – par n’importe quels moyens – leur montrer de la sympathie.

    En réponse à ma lettre que j’ai adressée à madame de Maison-Rouge (que je ne connais pas) à Tours, je reçois la lettre suivante :

    « Tours, vendredi

    Monsieur

    Merci de vos prières pour le repos de l’âme de monsieur l’abbé Perdriau qui avait de l’affection pour vous. Je sais que vous ne l’oublierez pas et, du haut du ciel, je ne doute pas qu’il veillera sur vous.

    Depuis un certain temps il était à sa campagne de Ruillé un peu fatigué, ayant de la fièvre, mauvaise mine. Nulle part, il ne pouvait être mieux qu’au Gatz, ayant le calme et le bon air de la campagne. Mais il a toujours été en s’affaiblissant, et, étant bien malade, on a pensé qu’un séjour à Royat pourrait peut-être lui faire du bien. Le matin - même – de son départ le docteur a affirmé qu’il n’arriverait rien pendant le trajet. Il a demandé pendant le parcours de son voyage à s’arrêter à Loches pour se reposer. Au bout d’une heure il est reparti étant dans une auto-ambulance.

     

    33_Fi_00335

    Loches.- Château, partie XVe siècle.- Médéric MIEUSEMENT, [1889].- 33 Fi 335. AD41

     

    À Buzançais, il demande un nouvel arrêt, mais c’est là qu’il rendit sa belle âme à Dieu. Des sœurs sont venues le veiller, les prêtres faire des prières. Le curé de Ruillé est venu chercher son corps car il avait témoigné le désir d’être enterré à Ruillé, où il avait son caveau de famille. Sur sa demande un service a été célébré à Saint-Saturnin à Tours. Le décès est encore trop récent pour que personne ne puisse rien faire. Mais je pense que d’ici peu, lorsque les affaires seront arrangées, que vous pourrez avoir un souvenir de celui que vous pleurez.

    Recevez, je vous prie – monsieur, l’assurance de mes sentiments distinguées.

    Louise de Maison-Rouge. »

    Mon Dieu donnez à mon pauvre ami la récompense éternelle ! J’irai à Ruillé-sur-Loir prier sur sa tombe. Pauvre cher ami !

    Je l’avais rencontré, par un hasard de la vie, dans un train, en revenant de Chemillé-sur-Dême (Indre-et-Loire), lui, revenait de sa propriété de Ruillé (Sarthe), nous fîmes la connaissance, nous nous prîmes d’affection, sans plus de façon les âmes droites, franches et simples, se comprennent ; il vint me voir, j’allais le voir, nous nous écrivîmes, nous fûmes amis. Nommé vicaire à l’importante paroisse de Saint-Saturnin de Tours, il se donna corps et âme au patronage de garçons de la paroisse ; une partie de sa fortune y passa, dans un apostolat de tous les instants ; il y laissa sa santé et ne récolta – que de fois me l’a-t-il dit – que de l’ingratitude, de la méchanceté, du manque de reconnaissance, de la jalousie et de la haine.

    Pauvre ami ! Lui aussi avait été éprouvé par le monde. Il s’en était fait une philosophie toute à lui et toute à Dieu ; combien il avait raison. Moi qui suis passé par ces ingratitudes, ces haines et ces méchancetés d’œuvres, en ne voulant que faire le bien, je le comprenais et l’approuvais.

    J’irai sur sa tombe prier pour son âme, dans la fraîche et belle campagne de Ruillé-sur-Loir.

    [1er août] Vendredi dernier – 30 Juillet – a été rappelé à Dieu monsieur l’abbé Menard, curé de Notre-Dame de Saint-Vincent-de-Paul de Blois, ancien curé de Chouzy-sur-Cisse, à l’âge de 64 ans. C’est une perte sensible pour le Diocèse.

    D’une nature droite, franche, primesautière, gaie, d’une tournure combattive et très originale, M. l’abbé Menard était une « figure » du clergé blésois. Ces prônes ne manquaient ni de saveur, ni de coloris, ni d’intrépidité. Il disait « carrément » leur « fait » aux puissants ou aux « comédiens » de la terre ; ces flèches portaient, personne ne s’en offusquait, et elles portaient leurs fruits. C’était un prêtre bon et charitable, d’une rare énergie. Depuis 7 ans seulement à Saint-Vincent, il resta près de 20 ans à Chouzy, et pour ceux qui l’ont connu – et j’étais heureux d’être parmi ses amis – il restera « le curé de Chouzy.» Que Dieu lui donne la paix éternelle !

    « La tranchée le 27 juillet 15, m’écrit Charlot.

    Cher oncle

    Je ne reçois absolument plus de vos nouvelles[2]. Je ne sais pas si c’est la même chose pour vous. Je suis toujours en bonne santé et je désire que ma lettre vous trouve tous de même. J’ai reçu une carte de Marthe et une de René avec sa photo il n’est pas très bien réussi. Plus ça va, plus ça chauffe sur le front. Je vous écris, il est 5 h du matin. Je n’ai pas dormi de la nuit. Ce n’est pas les boches les plus terribles de nos ennemis, il y en a d’autres et ceux-là ils ne vous laissent pas une minute de repos, nous sommes plein de poux et les moustiques nous dévorent. Ah ! Nous sommes gentils garçons ! Enfin il ne faut pas s’en faire pour ça. On m’appelle au téléphone pour remplacer le copain. Embrassez bien Mme Legendre pour moi. Bien le bonjour à Robert. Je termine en vous embrassant.

    Votre neveu Viard Charles. »

    Le bon Charlot !

    En même temps je reçois une lettre de Joseph Perly, le bon abbé-brancardier.

    « 27 Juillet 1915 – 8 h soir

    Mon bien cher monsieur et très cher ami

    Deux mots seulement de dessus mon lit de paille pour vous rassurer sur le sort de Marcel qui est sorti miraculeusement de la chaude affaire du milieu de juillet. Vaillamment, héroïquement, il a fait son devoir ; complètement tourné par les boches il a maintenu seul sa position avec 45 hommes, 4 fois en 35 minutes il est monté à la baïonnette, ce qui a maintenu les boches et a permis au renfort d’arriver. Détail curieux, après ces 4 attaques, il est revenu sain et sauf avec tous ses hommes. Pas de blessés, après ces charges, c’est vraiment miraculeux !

    Je vous aurais été reconnaissant de me donner l’adresse exacte du lieutenant Comte de Beaucorps, que je serais heureux de rencontrer. Si vous entendez dire que notre beau 113 est anéanti, démentez la chose ; il est vraiment éprouvé mais pas anéanti. De Jean Guilpin pas de nouvelles. Commandant Baron certainement mort, m’a-t-on dit. (Je vous le donne sous toutes réserves). Ne m’attendez pas de sitôt en permission. J’ai bien pensé – avant-hier – à notre voyage en Sologne, toute la journée. Demain anniversaire de Marcel, je célébrerai la Sainte-messe en me levant à 3 h 30. Mon respect à Mme Legendre et à vous mon affectueuse amitié. Joseph Perly. »

    [1][Ruillé-sur-Loir (Sarthe)]

    [2] Et cependant je lui écris tous les jours.