• 18, 19, 20 et 21 août 1915

    [18 août] Encore des vols d’aéroplanes dans le ciel blésois. Paul Verdier m’écrit qu’il vient en permission demain, pour 4 jours. Au dos de sa lettre, sur l’enveloppe, je lis :

    « Bien le bonjour au passage. Louis Bury. Trésor et postes. Secteur 29 ».

    C’est notre ancien facteur, un brave homme qui voyant passer, où il est, cette lettre à mon adresse y a apposé ce « bonjour » amical. C’est gentil. Je lui répondrai.

    « La tranchée le 13 août 15 m’écrit Charlot.

    Cher oncle

    J’ai reçu une lettre de Dargent, il pense toujours à moi. Je vais lui faire réponse un de ces jours. Je suis toujours en très bonne santé et je désire que ma lettre vous trouve de même. Dans la dernière lettre vous me disiez que vous étiez un peu souffrant, mais j’espère que ce ne sera rien. Embrassez bien madame Legendre pour moi. Bien le bonjour à Candé.

    Votre neveu qui vous embrasse bien fort.

    Viard Charles. »

    [19 août] Aujourd’hui, par un temps superbe, encore des vols d’aéroplanes dans le ciel blésois.

    L’ami Paul Verdier, en permission de 4 jours, vient me voir avec sa femme et sa petite fille. Quel pauvre vieux qu’il est ! il n’a presque plus de cheveux et le peu qu’il a est blanc comme neige. Comme il a vieilli ! Pauvre Paul !

    Marcel Perly m’écrit qu’il est au repos, mais que – matin et soir – il va à l’exercice. On reforme paraît-il un nouveau 113e.

    Le colonel Gérardin[1], mort en Allemagne de ses blessures [le 22 décembre 1914 à Coblentz], est cité à l’ordre du jour de [l’armée].

    Honneur à ce brave !

    [20 août] Par un temps idéal – quasi d’automne – je vais aux Montils (aller et retour par le tramway électrique). Un aéroplane passe – à grande hauteur au dessus de la maison du docteur Corby.

    Kovno, que les Russes maintenaient encore, vient de tomber entres les mains des Allemands. La dernière forteresse russe en Pologne. Je constate – hélas ! – et ne commente pas.

    M. Jacques Filly, soldat au 31e régiment d’infanterie, blessé dans la nuit du 14 au 15 août, meurt pour la France, dans la nuit du 15 août, dans une ambulance de l’Argonne.

    Il était le fils de Me Filly, l’honorable avoué (mon avoué) et de Mme Filly. Je me découvre devant ce jeune brave tué à l’ennemi et je prie Dieu, de tout mon cœur, pour le repos de son âme.

    M. l’abbé Guichard, curé de Chaon, brancardier à la 55e division de réserve, vient d’être cité à l’ordre du jour de l’armée et de recevoir la croix de guerre avec palme.

    « A toujours été prêt à marcher, dit la citation, quel que soit le danger ; a fait preuve, dans de multiples circonstances, d’un courage magnifique en ramenant des blessés au péril de sa vie, sous un feu violent de l’ennemi. Au quartier général, le 29 juillet. »

    Honneur à ce brave curé solognot !

    [21 août] Que de talents, que de belles intelligences, que d’artistes au cœur délicat, à la pensée élevée, la guerre a fauché !...

    Au printemps de leur vie d’idéal, elle les a impitoyablement supprimés pour les transporter vers les régions sereines de l’éternité !...

    Et nous, qui restons ici-bas, nous pleurons ces jeunes artistes, épris de beauté, fauchés comme la fleur des champs ! Peintres, poètes, sculpteurs, romanciers, musiciens, lettrés, sont partis vers les rives du ciel où ils continueront, au sein de Dieu, dans le ravissement et la gloire, leurs œuvres qu’ils aimaient par-dessus tout ici-bas. Et c’est ainsi que nous pleurons [Joseph] Vidal de la Blache, [François] Laurentie, Charles Péguy, Paul Acker, [Ernest] Psichari, Max Doumic, Pierre Leroy-Beaulieu, Guy de Cassagnac, Noël Trouvé, du Rouvre, [Léon] Gauthier-Ferrières, [Daniel] de Losques, Robert Besnard !...

    Et tant d’autres !...

     

    Paul Acker

    Portrait de Paul Acker.- Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, N-2 (ACKER, Paul)

     

    Je me devais d’honorer ici la mémoire des artistes tombés au champ d’honneur.

    Pas de nouvelles de Charlot, depuis quelques jours.

    La Douma[2] russe vote des poursuites contre les auteurs responsables du manque de munitions, dont l’ancien ministre de la guerre. À la bonne heure, en Russie ça ne traîne pas ! Si, en France, pareille mesure était prise, il y aurait nombre de misérables politiciens qui passeraient au poteau. Actuellement, chez nous, une bande de bandits qui a pour chef Caillaux, Clémenceau, Hervé et autres vendus aux Allemands – les boches de l’intérieur suivant l’expression très juste de notre préfet actuel : M. Maupoil – pousse des assauts furieux au ministère actuel et tente de « tomber » Millerand, Viviani, et jusqu’à notre généralissime Joffre, honneur de la France, que le monde admire et nous envie. Tout cela par haine, jalousie, rivalité, ambition politique et électorale. Qu’importe que la France meure pourvu que ces misérables vivent !

    Ils ont menacé la défense nationale à la dernière séance de la Chambre ; ils sèment la désunion. L’ennemi y compte bien ! M. Millerand, dans un discours très sage et patriotique, a exalté nos admirables armées et nos valeureux chefs. La meute, un instant s’est tu, mais elle a repris aussitôt son assaut sectaire.

    Et voilà des gens, auteurs du désarmement de la France et de la loi de deux ans, auteurs du désarroi actuel et des malheurs de la France, qui n’ont même pas la pudeur de se taire !!

    Les tristes gens ! Ils vendraient la France si on les laissait faire ! Peut-on être rassuré avec de tels dirigeants ? Et peut-on – en conscience – être assuré de la victoire ?

    S’ils poussaient la France à bout, une dictature militaire – quelle qu’elle soit – s’imposerait, afin de flanquer ces misérables Prussiens de France dans les geôles de la République, et de travailler en paix, tous les partis unis, à la délivrance de la Patrie et de la Civilisation.

    Nous y arriverons ! Ce régime mènerait la France à sa perte !...

    M. Daveau[3] père (de Candé), garde-voie territorial en Seine-et-Marne, accompagné de René, vient me voir, étant en permission au pays pour 8 jours, jusqu’à demain.

    Vient me voir aussi M. Poisson[4] (de Cour-Cheverny) dans le génie à Badonviller (Alsace) [Lorraine].

    Hier est venu me voir un jeune soldat, Gaborit (de Ménars) décoré de la croix de guerre (citation à l’ordre du régiment) m’apportant de bonnes nouvelles de Marcel Perly. Ils sont ensemble dans l’Argonne.

    [1] Colonel du 113e de ligne.

    [2] Chambre des députés russes.

    [3] Entrepreneur de charpentes à Candé ; 46 ans.

    [4] Entrepreneur de charpentes à Cour-Cheverny ; 36 ans.