• 15, 16 et 17 août 1915

    [15 août – Assomption de la très Sainte Vierge Marie] C’est en ce jour la fin de la neuvaine ; elle se termine – pour la ville de Blois - aux pieds de Notre-Dames-des-Aydes. La communion générale est faite à 8 h, elles sont très nombreuses et recueillies.

    Le soir, aux vêpres, il y a foule. Ce matin la messe a été célébrée par un prêtre-soldat, à grande barbe de « poilu », suivant le mot consacré par la guerre. Ce soir le sermon est donné par M. le vicaire général Montagne ; sermon très éloquent, très français, très patriotique.

    La procession du vœu de Louis XIII, au chant des litanies de la très Sainte Vierge, précède le salut du très Saint Sacrement qui clôt la neuvaine.

    Toute la journée, nombreux sont les Ave Maria qui sont montés vers le ciel !...

    Tant de prières, tant de sacrifices ne resteront pas vains. Dieu donnera la victoire quand il jugera le moment venu !...

    [16 août] J’assiste ce matin aux obsèques de M. Rabouin, à Saint-Nicolas, et ce soir je vais aux Montils (aller et retour par la forêt).

    Les citations deviennent nombreuses. Au début je me faisais une joie de les écrire ici, aujourd’hui j’en oublie, j’en suis assuré, combien je le regrette. C’est que nos héros sont nombreux.

    L’or versé, à ce jour, à la Banque de France de Blois, atteint deux millions.

    Instituteurs primaires tués à l’ennemi : MM.

    Champion Marcel, instituteur adjoint à Onzain

    Châtel Henri, instituteur à la Fontenelle

    Chauvin Gaston, ex-instituteur intérimaire au Gault

    Daridan Aimable, professeur-adjoint à Onzain

    Deniau Louis, instituteur à Françay

    Grugier Robert, ex-instituteur-adjoint à Onzain

    Henry Fernand, instituteur–adjoint à Gièvres

    Landier René, ex-instituteur-adjoint à Montoire

    Larsonneux Jules, ex-instituteur adjoint à Saint-Romain

    Lhersonneau Maxime, instituteur-adjoint à Blois (rue Ronceraie)

    Masson Henri, instituteur à Saint-Rimay

    Pradère Philoxin, instituteur-adjoint à Salbris

    Rigolet René, instituteur à Verdes

    Saulnier Aristide, instituteur à Lancé

    Testot Louis, ex-instituteur-adjoint à Billy.

    Honneur et gloire à tous ces braves qui sont tombés pour la Patrie !

    Ont été cités à l’ordre de l’armée : MM.

    Derouet Gilbert, instituteur à Méhers.

    Henry Fernand, instituteur-adjoint à Gièvres

    Laurenceau Alfred, instituteur à Saint-Bohaire.

    à l’ordre de la division :

    Jumeau Édouard, instituteur-adjoint à Blois (déjà cité à l’ordre de la brigade).

    à l’ordre de la brigade :

    Persillet Léopold, instituteur à Villermain

    Saulnier Aristide, instituteur à Lancé.

    André Lemarchand, régisseur et chauffeur de M. le Comte Henri de Beaucorps m’écrit :

    « … à l’Aubraye nous sommes bien peinés de la mort de mon pauvre camarade (Henri Henriot), il est mort bien courageusement le 2 Juillet, à Aubigny (en Artois). Monsieur Henri est toujours à Badonviller en Alsace ; depuis le 28 juillet il a une petite héritière. »

    Enfin, voici une lettre de monseigneur Bolo !

    « En mer 7 août 15

    Bien cher ami

    Que devenez-vous ? Quel nouveau dévouement absorbe vos activités ? Quels milieux édifiez-vous en même temps que les maisons confiées à votre habileté architectonique ? Est-ce que votre cœur d’ami n’entend pas le gémissement de votre plume inactive à côté de votre encrier fermé et poudreux ?...

    Pour moi, toujours errant sur la vaste mer, je perçois dans le murmure des flots des vibrations qui syntonisent avec la plainte de mon affection et vous devez en percevoir la résultante dans les premières lignes.

    En ce moment nous errons à la poursuite de sous-marins fantômes (fantômes nous-mêmes pour les dits sous-marins) dans le sud des Baléares et à proximité des côtes perfides de l’Espagne. Il y a huit jours nous avions 43 degrés de chaleur, et aujourd’hui, par 28 degrés, nous étouffons tout de même. On voit le feu, on en reçoit le baptême, comme on peut. Pour être moins glorieuse la façon qui nous est dévolue n’en est pas moins désagréable. Qu’y faire… Qu’alors y faire !

     

    croiseur chasseur de sous marins

    Croiseur à la chasse aux sous-marins.- Agence photographique Rol.- BNF, département Estampes et photographie, EST EI-13 (404)

     

    Avez-vous des nouvelles du patriarche[1] ? J’ai su que, heureusement, sa pension lui était régulièrement payée. Ce n’est pas en temps de guerre qu’il faut en dédaigner le nerf !

    Gros chagrin du côté de la Chaise ; ma bonne vieille cousine, madame Denys se meurt. Je me demande même, à l’heure où je vous écris, si elle est encore de ce monde ! Infection intestinale, arrêt de cœur, albuminurie, 84 ans, pas de médecins, ou presque pas, tout se réunit pour aggraver mes appréhensions. Je la recommande à vos bonnes prières d’ami.

    Savez-vous qu’en juillet, j’ai failli aller vous serrer la main. Malheureusement la Providence ne m’en a pas donné le temps. Ce fut un fiat dépourvu de gaieté. Il faudra maintenant sans doute, pour se dédommager attendre que les Russes aient repris Varsovie et Berlin avec !...

    Il semble bien que cette éventualité ne soit pas encore pour la semaine prochaine !...

    J’espère que la présente lettre pourra partir d’Alger mercredi ou jeudi prochain. Savez-vous que nous avons traversé, en mer, les eaux du Tibre et contemplé, de loin, le Dôme de Saint Pierre !...

    Donnez-moi vite de vos nouvelles et je vous embrasserai. H. B. »

    La lettre de monseigneur me cause une grande joie : sa santé est bonne, il voit des choses merveilleuses ; mais elle me cause aussi une sincère tristesse d’apprendre la grave maladie de cette bonne madame Denys, si douce, si affectueuse. Je prie Dieu de tout cœur pour elle.

    Pendant cette guerre les lettres des orateurs les plus éminents de l’église de France, voisinent avec les plus humbles des soldats. Après la lettre de monseigneur Bolo, une lettre de Charles. Autre style !

    C’est une carte très brève, suivant les ordres qu’il a reçu.

    « 11 août 15

    Cher oncle

    Toujours en bonne santé. J’ai reçu le tabac de Mme Revault, remerciez la bien pour moi. Bien le bonjour de votre neveu.

    Viard Charles. »

    La pensée est moins élevée, le tabac – pour les soldats – prime tout ! Pauvres enfants !...

    Mais quelle rencontre dans ma boîte aux lettres !

    Une lettre d’un des plus éminents aumôniers de la marine, et celle d’un des plus humbles et des plus braves petits matelots de la flotte !

    Et – en même temps - en voici une d’un brave et jeune quartier-maître : Pierre Gallon.

    Quelle heureuse rencontre ! Que dit-il le bon Pierrot : il me dit qu’il y a longtemps que de mes nouvelles lui sont parvenues, que sa santé est bonne, et qu’il a beaucoup de travail.

    « … En dehors du service que je faisais d’habitude, on vient de m’ajouter le service des vivres d’ordinaire et tous les jours il faut que je courre d’un côté et d’autre pour me procurer le nécessaire, comme j’étais le plus jeune des quartiers-maîtres, la corvée m’est tombée dessus d’autorité.

    J’ai vu Charles, l’autre jour, il y avait bientôt un mois que je ne l’avais pas vu ; je n’ai pas eu beaucoup de temps pour lui causer, car ma compagnie allait relever aux tranchées, et Charles était relevé, il venait en arrière tout seul, tranquille comme Baptiste ; il est bien comme moi, il ne s’en fait toujours pas trop, et je lui donne bien raison, car s’il y a eu un moment où l’on ne devait pas s’en faire, c’est bien maintenant. Vivement la paix que nous puissions nous retrouver ensemble, et passer de bons jours comme ceux que j’ai passés déjà avec vous.

    … Je termine ma lettre en vous embrassant bien affectueusement.

    Votre petit ami : Pierre »

    Décidément aujourd’hui toute la marine se rencontre chez moi.

    [17 août] Le ciel blésois est sillonné aujourd’hui de nombreux vols d’aéroplanes.

    Encore une lettre de monseigneur Bolo ! Quelle joie !

    « 2e lettre

    Alger, 12 août 15

    Bien cher ami

    Je vous ai écrit hier les mêmes lamentations que celles que je lis dans votre bonne lettre que je reçois aujourd’hui. J’y ajoute un gémissement sur toute la littérature dont cette dernière me révèle la perte !...

    C’est cruel !

    J’ai bien reçu le portrait de votre gentil matelot et j’ai répondu il y a longtemps à la lettre d’envoi !...

    J’ai reçu aussi, mais il y a très très longtemps toute une caisse de publications illustrées dont je vous ai remercié également en temps voulu. Voyez-vous décidément il faudra nous revoir. La correspondance en temps de guerre est trop exposée. Il n’est rien de tel que la présence réelle quand on veut communiquer.

    Il fait une chaleur torride. Mais nous avons en revanche de temps en temps des spectacles : rayon vert, bolides, mer phosphorescente à un degré fantastique… etc…

    Il n’y manque que les amis. Mais encore une fois on se dédommagera.

    Bien affectueusement et cordialement

    H. B. »

    Je reçois une invitation à une conférence sur : « Le pain d’exil aux prisonniers » qui sera faite à la mairie, le 22 août, par M. Henri de Noussanne et M. Reverdy de Salvagère. Je n’irai pas.

    [1] Monseigneur Renou, ancien archevêque de Tours.