• 9 septembre 1914

    9 septembre

    Les nouvelles sont tellement imprécises qu’il est préférable d’attendre pour en parler. Actuellement une grande bataille déroule son action sur le front dont l’aile gauche est à Meaux et Sézanne (Seine-et-Marne) ; l’aile droite est à Château-Salins et Nancy ; le centre à la Fère-Champenoise, Vitry-le-François et le sud de l’Argonne.

    Une grande bataille a eu lieu lundi dernier à Sézanne.

    Je vais porter un panier de poires – de belles poires du jardin – à l’ambulance établie à la gare pour secourir les blessés qui passent. Justement un train de blessés est en gare. ; il y a des turcos, des chasseurs à pied, des tirailleurs sénégalais, des fantassins ; les plus malades sont restés dans les wagons couchés sur la paille, les moins malades sont descendus. Les dames dévouées des « femmes de France » : madame Fandeux et ses demoiselles, Melles Brevet, Mme Belton, Mme Raymond – pour ne citer que celles que j’aperçois – Mme Baronnet – etc ; se prodiguent auprès des blessés.

    Des turcos, la figure hâlée et encadrée d’une barbe broussailleuse, le bras en écharpe, ou la tête enveloppée, se promènent sur le quai ; des chasseurs à pied, les vêtements en lambeaux, passent bien fatigués ; un grand gaillard turco, aux yeux de feu, l’air imposant, la poitrine constellée de médailles attire les regards.

     

    Groupe Turcos

     

    Groupe de turcos en 1914.- Agence photographique Rol.- Gallica.bnf.fr / BNF, département Estampes et photographie, EST EI-13 (390)

     

    Dans un wagon sont - me dit-on - des soldats allemands, blessés et prisonniers. J’y vais voir ; dans un coin quatre soldats étrangers, en costume kaki, sont assis sur la paille ; tous les gens qui sont là disent que ce sont des prisonniers allemands – je le veux bien, ils n’ont pas mauvais air : sont blonds, avec des yeux bleus, assez frais pour venir de la guerre ; un grand regarde fixement la foule qui les dévisage, ses cheveux blonds frisés l’encadrent heureusement ; ils sont peu blessés ; un seul - cependant - étendu sur la paille semble très atteint, et, sous les linges qui entourent sa tête, on devine des plaies sérieuses et douloureuses, il ne bouge pas. Dans un autre coin est un officier, allemand aussi - me dit-on. Il est accroupi dans la paille et jette de furtifs regards autour de lui, il paraît honteux – comme un renard qu’une poule aurait pris dirait le bon La Fontaine – et voudrait se cacher. On leur trouve le regard dur, insolent, provocateur.

    Dans la première impression, surtout dans l’évocation de ce mot « allemand », je me laisse aller à partager l’impression de la foule. Des Allemands ! Des Allemands !

    Sur la manche des soldats se lit une inscription « Gibraltar ». Personne n’y pense, même pas les sous-officiers français qui sont là - quelqu’un a dit « ce sont des Allemands », tous les gens – moi aussi – ont dit «  ce sont des Allemands ».

    La foule est-elle sotte !

    Revenu à moi, descendant de la gare, je me prends à penser que les allemands sont en gris, que les anglais sont en kaki ; que le mot « Gibraltar » inscrit sur la manche de leur vareuse indique le nom d’une colonie anglaise, car Gibraltar est anglaise ; que les allemands sont - au dire des compétents - malpropres, les joues creuses, abattus, tandis que les Anglais sont propres, frais, assez dispos et gais. Ce n’était pas des Allemands, c’était des Anglais.

    blessés anglais

     

    Blessés anglais, 1914.- Agence photographique Rol.- Gallica.bnf.fr / BNF, département Estampes et photographie, EST EI-13 (388)

     

    Si c’était des Allemands – même blessés – et ils l’étaient peu grièvement – il me semble qu’ils auraient été sous meilleure escorte que surveillés par de braves soldats français blessés, sans armes ; la porte ouverte ils pouvaient s’échapper.

    Non ce n’était pas des soldats allemands, mais de gentils soldats anglais.

    Cependant un point m’embarrasse, il me semble que cet officier anglais aurait été mis dans un wagon de voyageurs, plus confortable – et il y en avait – au lieu d’être ainsi déposé sur de la paille. Le mystère continue. Sont-ce des soldats allemands ou des soldats anglais ? J’opine pour des soldats anglais.

    Pour l’ambulance de Vendôme, établie dans le lycée, monseigneur a nommé M. l’abbé Clément aumônier déjà aumônier du lycée.

     

    6_Fi_269%00284 [1600x1200]

     

    Vendôme.- Lycée. Façade sur le parc.- 6 Fi 269/284. AD41

     

    Une dépêche mise à la poste samedi matin, à Paris, à 9 h, est arrivée à Blois lundi, à 10 h ¼ soit deux jours pour venir de Paris. Elle m’était envoyée par Arthur mon beau-frère, elle portait « Legendre, architecte rue Bertheau, Blois = Berthe partie 9 h = Arthur » visée par le commissaire de police du quartier Gaillon et celui de Blois.