• 4 septembre 1914

    4 septembre

    Les nouvelles sont mauvaises ; les Allemands sont à Creil - près Paris - et il se confirme encore que la forêt de Compiègne serait en feu.

    D’autre part le président de la République, les ministres, tout le gouvernement, les différents services des ministères, les administrations, les ambassades, la Banque de France, ont quitté Paris l’autre nuit, l’avant-dernière nuit, et sont allés se réfugier à Bordeaux.

    Le président de la République et le gouvernement adressent un message à la Nation. Ces départs précipitent encore ceux des Parisiens et de la partie de la France envahie. C’est une vraie ruée vers les régions plus calmes et plus favorisées.

    Je vais à la Banque de France ; les bureaux sont encombrés de sacs d’écus, tout le trésor. Devant moi des ordres sont donnés aux garçons de recette, afin qu’ils se tiennent prêts pour partir le tantôt pour Limoges, pour Toulouse peut-être ensuite, cela dépendra des événements.

    C’est le trésor de la Banque de France de Blois qui émigre en sûreté – je pense – à Limoges.

     

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    Blois.- La Banque de France.- 16 Fi 262. AD41

     

    Un bataillon du 39e territorial est parti cette nuit pour le Creusot (Saône-et-Loire) a-t-on dit. D’autre part des trains militaires, avec canons, fourgons, soldats, descendent vers Tours ; ils vont - paraît-il - à Saint Nazaire, où ils doivent s’embarquer à destination de Dunkerque et d’Ostende pour former deux corps d’armée destinés à prendre à revers les allemands, est-ce vrai ?

    On dit aussi que le général Pau aurait ramené des troupes d’Alsace, les aurait remplacées par des troupes territoriales, et, au camp de Châlons, aurait formé 2 corps d’armées appelés à renforcer l’aile gauche de l’armée française. On dit aussi que 200 000 russes seraient en France, ayant embarqué à Arkhangelsk et - par l’océan Glacial Arctique et la mer du Nord – auraient débarqués pour venir renforcer les troupes françaises ? Parmi ces russes, il y aurait des cosaques. Est-ce vrai ?

    On dit aussi que 200 000 Anglais seraient au Mans, venant de Cherbourg. Est-ce vrai ?

    On signale aussi que des trains entiers de troupes françaises descendent sur Vierzon.

    Que veulent dire ces mouvements ? Et que sont ces bruits ? On nous dit « ayez confiance, les Allemands sont en France, il n’en rentrera pas un seul en Allemagne ».

    Nous le verrons.

    Le tantôt nous allons à Marcilly, au Dangeon. Nous allons voir le bon curé – en revenant ; il est absent, il est allé voir des malades dans la campagne ; nous allons à sa rencontre. Comme il fait bon ! Et comme dans le calme des sapinières cela repose de l’air enfiévré des villes, surtout pour l’instant. La bruyère jette sa note gaie sur les tapis de mousse.

    M. l’abbé Daubray est heureux de nous voir ; nous lui apprenons la nomination du nouveau Pape, Benoist XV ; il n’en savait rien.

    Il nous donne 3 paniers pleins de bonnes poires de son jardin pour les blessés des ambulances de Blois. Nous le remercions au nom des chers blessés. Le brave homme !

    Nous revenons, comme à l’aller, par Neung-s/ Beuvron, Neuvy et Bracieux.

     

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    Bracieux.- Les bords de la Bonne-Heure ; Le Pont.- 6 Fi 25/37. AD41

     

    En allant Robert a conduit plus de la moitié du chemin – le voilà bientôt chauffeur – mais en revenant, comme il se fait tard – je prends le volant, afin d’aller plus vite. La nuit nous prend avant Bracieux, où nous allumons les lanternes. Les lapins, les faisans, les perdrix et perdreaux se sauvent et s’envolent à notre approche. Comme ils vont s’en donner cette année dans les landes, les bois, les clairières et les plaines ! Car la chasse est défendue cette année, ou plutôt la seule chasse ouverte est la chasse aux Prussiens !

    Derrière nous la lune se lève.