• 1er septembre 1914

    1er septembre

     

    Je reçois la lettre suivante de mon excellent ami et client : monsieur Edmond Riffault, demeurant au château de Mont-Désir par Saint-Jean-de-Braye (Loiret).

    « 29 août 1914                             Mont-Désir

                                                       St-Jean-de-Braye (Loiret)

             Mon cher monsieur Legendre

    Sachant combien vous vous intéressez à tout ce qui me touche, je vous dirai que mon fils Charles a reçu une balle dans le genou, près de Nancy.

    Il nous l’écrit du 25. Il est à l’hôpital de Maxéville, près Nancy. 

    Bien à vous.

                                                     Signé : E. Riffault.

    Prière de le dire chez M. Delagrange. »

    Je prends une vive part aux inquiétudes de mon excellent, si dévoué et si bon ami et je fais des vœux – bien sincères – pour que le capitaine Charles Riffault – honoré d’une blessure – sur le champ de bataille – revienne à la santé.

    Ce tantôt - avec M. Nain - sur la demande de M. Vezin, directeur départemental de l’agriculture, nous allons par la Beauce pour le placement de braves belges, émigrés en France, chassés par l’ennemi, tous ouvriers agricoles ou mineurs, dévoués amis de la France. Nous allons à Marolles, en l’absence du maire[1], sa femme, brave femme, très aimable et hospitalière, nous reçoit et sur la demande que lui fait M. Nain d’hospitaliser des émigrés belges, nous promet que son mari fera tout son possible pour recevoir à Marolles de nombreux émigrés.

     

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    Marolles.- Place de la Mairie.- 6 Fi 128/1. AD41

     

    Nous partons sur ces bonnes paroles et allons à la Chapelle Vendômoise. Pendant que M. Nain est à la mairie, je me mets en quête d’essence, car l’essence est épuisée à Blois et je ne sais si j’en aurai assez pour faire la tournée ; mais à la Chapelle - comme à Blois - pas une goutte d’essence. Tant pis ! Et allons !!

    Nous passons au Breuil et nous arrêtons à Villeromain ; là, chez l’entrepreneur de battage, nous plaçons des émigrés belges, mais comme il n’a pas de quoi loger, nous allons voir si nous pourrions trouver des logements à Selommes tout proche. Nous filons donc à Selommes par Périgny.

    M. Nain va à la mairie et avec M. le maire de Selommes[2], visite un local qu’une habitante de la localité met à la disposition des émigrés. De cette façon les hommes pourront travailler à Villeromain et les femmes et les enfants seront hospitalisés à Selommes. Ce sera parfait.

    Je cherche de l’essence, enfin j’en trouve un bidon chez un épicier pour 2 f 55 ; sûrement que cet épicier ne connaissait pas le prix fantastique de l’essence à l’heure actuelle. 2 f 55 ! C’est bien le prix, du reste. Enfin c’est toujours un bidon de trouvé.

    Nous revenons par Villegrimont où nous nous arrêtons chez le Maître Bagland, riche propriétaire fermier de cet important village.

     

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    Champigny-en-Beauce.- Villegrimont. Vue générale.- 6 Fi 35/20

     

    Le Mtre Bagland a deux ouvriers belges à son service, depuis quelques jours, et il en est enchanté, nous dit-il, très aimable et très fin agriculteur. Le Mtre Bagland nous fait visiter sa bergerie où sont - surtout - deux beaux béliers de la Charmoise. La ferme forme un bel ensemble de bâtiments robustes, aérés, bien entretenus, avec - au milieu - une vaste cour. On y respire l’aisance et la bonne tenue.

    Justement voici le troupeau de moutons qui part aux champs, dans son nuage aux mille rayons d’or. J’aime cette auréole qu’est la poussière soulevée par le troupeau de moutons, elle les encadre et les suit, laissant – loin derrière elle – un sillage pénétrant et de terroir.

    Nous revenons par Champigny-en-Beauce, après avoir été perdus, quelques instants, dans un mauvais chemin de terre.

    En passant près du petit cimetière de Champigny, j’ai un souvenir pour ma bonne grand’ grand-mère – Madame Rabier – née Chatelain née à Saint Dyé-s/ Loire - et décédée à la maison de retraite « des deux frères » - à Champigny - à l’âge de 98 ans et 8 mois. Elle repose, depuis de longues années dans le petit cimetière de Champigny-en-Beauce.

     

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    Champigny-en-Beauce.- L’asile des deux frères.- 6 Fi 35/5. AD41

     

    Entre Champigny et la Chapelle-Vendômoise on ne se croirait pas en Beauce tellement les bois et les vallées de la Fontaine et de Fréchines accidentent la contrée.

    À Blois – comme à l’aller – nous exhibons nos sauf-conduits, au pont de la route de Vendôme. Pas de nouvelles, pas de dépêches à la Préfecture. Ce n’est pas bon signe.

    [1] M. Moïse Remay.

    [2] M. Tricault-Bisson.