• 10 septembre 1914

    10 septembre

    Les nouvelles semblent meilleures autant que nous pouvons en juger par la brièveté des dépêches. Nous avançons en Seine-et-Marne et l’ennemi recule de 40 kilomètres ; deux drapeaux sont pris à l’ennemi. Mais – dans toute cette région – dans la Marne, Seine-et-Marne, les Ardennes, c’est un véritable et vaste champ de carnage. Les hécatombes de soldats et de chefs sont épouvantables – des trois côtés : côtés anglais, français et allemand.

    J’apprends la mort du lieutenant-colonel de Ponton d’Amécourt[1], blessé au champ d’honneur et mort à l’hôpital de Verdun, où il avait été transporté. Très aimé de son régiment, le 1er chasseurs - en garnison à Châteaudun - il sera regretté de tous ses hommes et pleuré – si cependant il y a lieu de pleurer ceux qui tombent pour la Patrie et s’endorment dans la gloire – par toute la région de Châteaudun et particulièrement la population de La Chapelle-du-Noyer, où il avait son château, et à laquelle il faisait tant de bien.

    Les morts vont vite, et la guerre va lentement. Un peu plus d’un mois, déjà, qu’elle est commencée et cependant que de dénis et que peu de chemin parcouru pour nous.

    Hélas !

    Comprendrons-nous que la guerre est inhumaine et barbare ? Mettrons-nous à profit cette belle maxime du Maître « Aimez-vous les uns les autres » ?

    Je reçois la lettre suivante de M. l’abbé Perly, actuellement brancardier aux armées, sur le front, je ne sais où ; suivant le secret imposé par l’état-major il est impossible de dire où les soldats sont, où ils vont, etc.

                             « 30 août 1914

    Monsieur et bien cher ami,

    Je reçois loin, très loin, votre bonne carte, c’est là tout ce que je puis vous dire sur la situation locale de ma chétive personne.

    Mais ce que je puis vous dire c’est que j’entends le canon d’assez loin ; ce que je regrette infiniment. C’est à ma fonction de brancardier de corps que je dois ce repos, que je trouve bien pénible.

     

    Brancardiers

     

    Brancardiers portant secours à un blessé français, 1914.- Agence photographique Rol.- Gallica.bnf.fr / BNF, département Estampes et photographie, EST EI-13 (402)

     

    Je voudrais pouvoir soulager tant de pauvres petits gars qui souffrent sur le terrain. Je n’ai encore eu qu’une fois l’occasion d’approcher les blessés ; le 1er que j’ai transporté – pour un petit bobo au pied – était un commis de Gassault, coiffeur. J’en ai transporté d’autres plus sérieusement touchés, mais tous des inconnus. J’ai appris qu’un de mes cousins – issu de germain – avait trouvé la mort dans un engagement du 313e, mais je voudrais avoir la confirmation de cette nouvelle ; deux autres jeunes gens de Gy sont blessés légèrement.

    Marcel a dû arriver ici vendredi ou samedi ; deux jours que j’ai eu le bonheur de passer avec mon beau-frère ; depuis que sont-ils devenus ? Hier le 113e a eu une journée très glorieuse, paraît-il.

    J’avais appris la mort du Souverain Pontife le dimanche qui a suivi sa mort. M. le curé de … [sic] l’a annoncé en chaire ; je vais encore à la messe, quand je le peux ; hier je n’ai pu y aller, j’étais de service, planton au puits du presbytère pour éviter le gaspillage de l’eau. Mais ce qui est le plus pénible pour moi c’est que je n’ai pu dire ma messe depuis que je suis parti, le 3 août.

    Quelle messe d’actions de grâce, si je rentre ; pourvu que je n’aie pas à dire des messes de deuil.

    Vous voudrez bien – je vous prie – offrir mon plus respectueux souvenir à madame votre mère, et recevez pour vous – avec mes remerciements – pour votre bon souvenir, l’assurance de ma profonde affection.

                                                             Signé : Joseph Perly »

     

    Oui quelle messe d’actions de grâce à son retour ! Le retour de la guerre !!

     

    Robert, Berthe et moi, nous allons, en auto, au Guimier. Au bout du pont de Vienne – arrêt pour le visa du sauf-conduit – oui, maintenant, il faut un sauf-conduit pour aller - en auto - de Vienne en ville (décidément cela devient sérieux !) ; autre visa au pont des Granges. Mêmes opérations au retour, cependant c’est au bout du pont de la ville que se fera l’examen.

     

    La campagne est belle, les horizons bien lavés par la pluie de la nuit. Dans la plaine du Guimier, semée de petits groupes boisés, quel terrain propice ce serait pour une bataille.

     

    6_Fi_101%00004 [1600x1200]

     

    Herbault.- Rue de Landes.- 6 Fi 101/4. AD41

     

    Mais souhaitons que le sol n’en soit pas foulé par l’envahisseur ; que les blés lèvent dans la terre bien labourée, et, qu’à l’aurore de la belle saison prochaine, les épis se houlent au soleil, sous le souffle chaud du printemps. Souhaitons-le.

    [1] [Maurice Ponton d’Amécourt (31 mai 1859 – 27 août 1914)]