• 8 et 9 octobre 1915

    [8 octobre] Les alliés France, Russie, Angleterre et Italie s’apprêtent à défendre la Serbie. La Bulgarie ayant répondu négativement à l’ultimatum de la Russie, les représentants des puissances alliées quittent Sofia.

    C’est la guerre avec la Bulgarie.

    La Serbie va être attaquée et son alliée, la Grèce, prétend - ou du moins c’est son roi qui le prétend – rester neutre.

    Quant à la Roumanie elle reste étrangère à cet attentat. La Grèce et la Roumanie voient la Serbie attaquée par une bête fauve et qui crie : « Au secours ! » et, toutes les deux, tournent la tête, ne voulant rien savoir. Qu’elles prennent garde !

    Lorsqu’un homme est sur le point de se noyer, ou qu’il est attaqué, qu’il crie à ses amis : « au secours ! » que font ceux-ci s’ils sont des gens d’honneur, si leur conscience est droite et charitable ?

    Attendons !

    M. Vincent, secrétaire particulier de M. Maupoil, préfet de Loir-et-Cher, qui avait eu le bras droit emporté, est mort des suites de sa terrible blessure. Gloire à ce brave mort pour la France !...

    Depuis le premier jour de la mobilisation, le pont de Blois – aux deux extrémités (côté ville et coté Vienne) a été gardé militairement. Ce matin encore le pont était gardé, mais – à partir de tantôt – il n’est plus gardé, la garde cesse et les autos peuvent passer sans montrer le sauf-conduit de rigueur. La garde du pont de Blois a vécu.

    Charlot m’écrit ce soir une lettre datée du 4. Il me dit qu’il est toujours en bonne santé et qu’il m’envoie une chanson faite par les territoriaux qui ont eu beaucoup de peine de les quitter « car – dit-il - on leur z’y donnait toujours de bons coups de mains. »

    La chanson est intitulée :

    « Adieux du 8e régiment territorial d’infanterie aux fusiliers marins. Hommage à M. l’amiral Ronarc’h, commandant la brigade de marins en Belgique. »

    La chanson sur l’air de la Paimpolaise.

    Voici un couplet et le refrain :

    « Puisque la France nous appelle

    à combattre sous d’autres cieux

    Voici pour nous l’heure cruelle

    de vous exprimer nos adieux

    Refrain :

    Fusiliers marins

    Brave Jean Le Goin

    Vous incarnez l’âme française ;

    bravoure, entrain, franche gaieté

    Auprès de vous, toujours à l’aise,

    nous vous suivions avec fierté.

    … »

    Il y a 8 couplets. La chanson est signée : « Ed. Haverland sous-lieutenant – 6e compagnie B – du 8e régiment d’infanterie. »

    Un ordre est arrivé ce tantôt à Blois : « Faire évacuer les ambulances. » Qu’est-ce encore ? Prépare-t-on une nouvelle offensive ?...

     

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    Les Montils.- Le Pont et l’église.- 6 Fi 147/2. AD41

     

    [9 octobre] Hier ont eu lieu aux Montils les obsèques d’un digne pasteur, belle et bonne figure marquante dans le clergé du diocèse, monsieur l’abbé Boureille. Curé des Montils pendant [38 ans] ce fut lui qui fit bâtir la nouvelle et belle église ; il écrivit, ces dernières années, une « Histoire des Montils » très docte et documentée, que j’ai eu l’heureuse idée d’acquérir. M. l’abbé Boureille laissera – parmi la population des Montils – longtemps – un impérissable souvenir, celui d’un bon prêtre, charitable, saint et zélé. Que Dieu lui donne la récompense éternelle !...

    Joseph Perly, brancardier du Ve corps m’écrit une longue lettre dont je relève les passages suivants :

    « Ligne de feu – N….y. 6 octobre 1915

    Mon bien cher ami

    Je voudrais répondre quelques mots à votre lettre. Si je le fais brièvement vous ne m’en voudrez pas, car si le temps matériel est à peine suffisant, je me sens tellement faible d’esprit qu’il m’est impossible de faire une longue correspondance. Abruti ! Je le suis de plus en plus ! Je n’ai pas le cafard, c’est une maladie que je ne connais pas encore. Mais je me sens si inutile que j’ai honte de moi, ma chétive personne me dégoûte (pardonnez-moi l’expression). Je suis dans un secteur où le service sanitaire est composé d’un personnel deux fois trop nombreux, secteur tellement calme que nous n’avons rien à faire, de sorte que

    1° Nous sommes regardés comme de vulgaires embusqués et malmenés par les troupes armées ;

    2° Nous sommes désœuvrés ou,

    3° employés à des corvées ridicules !

    Je ne puis pas demander un changement j’en ai fait la promesse à ma pauvre mère, qui vient encore de s’alarmer de l’ennui dont je lui ai fait l’aveu. Oh ! que je voudrais bien être dans les secteurs de Champagne ou d’Artois. Mais je vais des vœux et j’ose espérer que d’ici peu notre secteur connaîtra aussi des jours glorieux de victoires et de marche en avant, jours où animés par l’esprit de revanche et de triomphe nous pourrons espérer en une Paix complète qui suivra l’anéantissement de cette race maudite qui aura fait couler tant de larmes et tant de sang.

    Oui soyons en ces jours du Rosaire perpétuel très unis par la prière, que nos supplications montent ardentes vers le ciel et que Notre Dame des Victoires entende notre requête et nous accorde, enfin, le succès final. Je crois que plus que jamais on a confiance en une heureuse issue de cette lutte gigantesque. Que nos prières et nos sacrifices hâtent cette heure de joyeuse délivrance. Oui, n’oublions pas nos chers petits soldats qui payeront de leur vie leur dette à la patrie. Que le Bon Dieu les admette dans son Saint Paradis comme martyrs du Droit et de la Justice.

    … Marcel m’a dit le désespoir de notre pauvre vieux papa qui avait été si calme à notre premier départ. Oh ! Que Dieu hâte le jour où ses larmes se changeront en larmes de joie. Je suis heureux que Marcel vous ai laissé un petit souvenir[1] ; pardonnez-moi de ne pas vous en avoir déjà expédié, à vous personnellement.

    J’en ai une quantité rendue à domicile, si je rentre j’en ferai la distribution  et vous aurez votre part ; si je ne rentre pas, vous en demanderez un à M. Huguet, de ma part.

    Je joindrai à cette lettre une humble fleur qui a vu maints bombardements et qui sera chargée de vous dire mon plus affectueux souvenir et mon plus fraternel attachement. Merci de la place de choix que vous donnez à l’ignoble photographie que je vous ai envoyée…

    Vous me dites que monseigneur se casse ; je ne crois pas que ce soit le souci qu’il a de ses prêtres mobilisés, car il semble nous oublier complètement et nous sommes tous profondément peinés. (Cela entre nous).

     

    1915_permission_Poilu

    L'œuvre de la permission du poilu des régions envahies chez les restaurateurs, limonadiers et hôteliers parisiens : [affiche].- Ill. Georges Redon, 1915.- BNF, ENT DN-1 (REDON,Georges/4)-ROUL

     

    Malgré le bonheur que me procurerait une permission il n’y faut pas penser de sitôt ; si le système actuel continue, il sera temps d’en parler vers Pâques. Si tout s’était passé comme au mois d’août, je vous aurais surpris dans la seconde quinzaine de ce mois. C’est un nouveau sacrifice à offrir au Bon Dieu et je le fais de tout cœur.

    Merci très reconnaissant à madame votre mère pour son affectueux souvenir. Merci à vous de votre affection si profonde et si fidèle.

    De mon côté je vous assure de ma meilleure amitié et vous embrasse fraternellement.

    Joseph + »

    Brave ami ! Une rose de l’Argonne était jointe à sa lettre.

    [1] La fléchette.