• 4, 5, 6 et 7 octobre 1915

    [4 et 5 octobre] C’est aujourd’hui le jour consacré à la prière perpétuelle du Rosaire pour ma paroisse ; à partir de ce matin lundi 6 heures jusqu’à demain matin mardi – 6 heures. Toute la journée et toute la nuit des groupes se succéderont, d’heure en heure, récitant le rosaire et méditant les trois mystères. J’y vais deux fois dans la journée, le matin et le soir, il y a une belle et comparative [sic] assistance. Malheureusement je ne pourrai pas y aller cette nuit parce que je vais veiller à l’ambulance.

    Ce soir le facteur m’apporte une lettre de Charles.

    « S. 131 le 28-9-15

    Cher oncle

    Je serai bien heureux de recevoir le colis de tabac, mais j’espère le recevoir un de ces jours. Vous pouvez écrire à Marcel et même qu’il sera content ; vous savez son adresse. J’ai reçu la lettre de votre mère voilà 5 minutes et elle m’a bien fait plaisir. Votre sœur m’a écrit qu’elle avait reçu les cartes postales et qu’elle allait vous les envoyer. J’ai vu les communiqués officiels et ça va très bien; la guerre sera vite terminée[1] à présent.

    J’espère que ma lettre vous trouvera en bonne santé, tant qu’à moi, je me porte très bien. Je termine en vous embrassant de tout cœur.

    Votre neveu Viard Charles (Bien le bonjour à la famille Revault)… (de Candé). »

    C’est toujours sa même idée : « La guerre sera vite terminée. » Puisse-t-il dire vrai !

    Ce soir je vais à l’ambulance. Les offensives de Champagne et d’Artois nous ont envoyé des blessés. Je veille à la salle 2 et à la salle 1 ; cependant il n’y a que 13 blessés sur 16 lits ! La nuit se passe calme. Ce ne sont plus les nuits de l’autre hiver, jusqu’au printemps ; il y avait – alors – du travail, les blessés ou les malades étaient sympathiques, aujourd’hui il en est aussi, mais, cependant, moins, et pas tous. Les nuits sont longues et mourantes !...

    Pendant le cours de la nuit – en union avec ma paroisse – je récite le rosaire – pendant que les blessés dorment, les mystères joyeux, douloureux et glorieux.

    Ce tantôt mardi je vais aux Montils – aller et retour à bicyclette par la forêt. Je prends, en allant, un ravissant petit sentier sous-bois qui aboutit à la Chesnaie. Il bruine légèrement pendant ma sortie, ce qui ne m’empêche pas de croiser un aéroplane – au retour – vers les Fourneaux.

    [6 octobre] Quelques nouvelles de l’ambulance 1bis.

    Dorival (salle 4) a eu la jambe coupée à Orléans. Morel (salle 4) a été réformé et proposé pour la médaille militaire et la Croix de guerre ; Nizon (salle 4) a repris du service – sur sa demande – dans les zouaves, il est actuellement à Tunis avant de partir pour les Dardanelles.

    Quelques autres nouvelles de Blois : M. Vincent, secrétaire particulier du préfet a eu le bras droit emporté, il a été décoré de la Légion d’Honneur ; Hervier, de la Société Générale, a eu le bras droit coupé. Hélas !

    La Russie vient d’envoyer un ultimatum à la Bulgarie.

    Le pauvre petit Saumet, fusilier marin, dont Charles m’a appris la mort, a eu la tête emportée par un obus. Terrible !

    Allons bon ! Le roi de Grèce exige la démission de M. Venizelos [Elefthérios Venizélos], ami de la France, président du conseil des ministres, partisan résolu d’une action contre les Bulgares ! Que va–t-il se passer ?

    Pendant ce temps nos troupes débarquent à Salonique. Attendons-nous à de graves évènements.

    Autre mauvaise nouvelle : un de nos dirigeables « l’Alsace » a atterri dans les lignes allemandes ; l’équipage serait prisonnier. »

    [7 octobre] Prise de Tahure et de la butte de Tahure, sur le front de Champagne ; nous faisons plus d’un millier de prisonniers.

     

    6_Fi_129_00001

    Maslives.- La Route de Chambord.- 6 Fi 129/1. AD41

     

    Ce tantôt je vais à Maslives par le tramway électrique et je reviens à bicyclette par Montlivault et la Loire. Il fait beau. Dans le val les vendanges se font ; mais des rangs de vignes montent seules les voix d’enfants et de femmes et de quelques vieillards, les hommes guerroient. Dans ce val habituellement si bien cultivé, ou pas un pouce de terrain n’est inutilisé, que de terres en friches ! Cela se comprend – Hélas !...

    Mort pour la patrie. Un de nos jeunes compatriotes viennois, Marcel Brisset, dont les parents habitent à l’extrémité de l’avenue de Saint-Gervais, a été tué le 28 septembre, après avoir été cité à l’ordre de l’armée. Il dépassait, à peine, la vingtaine ! Honneur à lui !...

    Charles écrit à la date du 3-10-15

    « Cher oncle

    J’ai reçu votre carte qui m’a fait bien plaisir. Vous m’annoncez le colis de tabac, je serai bien content de le recevoir, car la paye commence à diminuer, au lieu de toucher 20 francs on ne touche plus que 5 francs mais ça ne fait rien, on touchera davantage après la guerre, faut pas s’en faire. Mais j’ai hâte d’aller faire un petit tour à Blois, vivement que j’aille en permission !...

    … Écrivez à Joséphine, voilà longtemps que vous ne lui avez pas écrit ; son frère ne va pas beaucoup mieux. Bien le bonjour à madame votre mère, ainsi qu’à M. Harrault. Je termine en vous embrassant de tout cœur à bientôt !

    Viard Charles. »

    [1] !?