• 26 octobre 1914

    26 octobre

    Nous recevons les lettres suivantes de Robert et de Berthe, j’en extrais les passages ci-dessous :

    « Chère grand’mère                        Paris, 20 octobre 1914

    Cher Oncle

    Deux mots seulement pour vous remercier des bonnes vacances que je viens de passer avec vous et qui ont été aussi agréables qu’elles pouvaient l’être au milieu des évènements.

    Nous sommes rentrés hier matin à l’école[1] et nous avons commencé aussitôt notre travail, puisqu’il y a eu déjà aujourd’hui des interrogations sur le cours d’hier. Nous ne faisons pas de travail manuel, mais des cours toute la journée. Nous entrons le matin à 9 heures et sortons à 4 h ½ ; je pars donc à 8 h ¼ et rentre à 5 h ¼. Nous déjeunons à l’école et sommes très bien nourris.

    Nous avons des devoirs à faire le soir, plus qu’en temps ordinaire, paraît-il.

    Nous sommes allés dimanche voir mon oncle au Bourget, il m’a donné un brassard, ainsi qu’à papa, pour nous permettre d’entrer dans la gare. Nous y avons vu des canons français revenant de la bataille criblés d’obus et de balles, des prisonniers allemands, des trains d’Anglais.

    En attendant le plaisir d’avoir de vos nouvelles, je vous embrasse de tout cœur.

                                              Signé : Robert Randuineau »

     

    canon_français

     

    Un canon de 105 prêt à tirer.- Agence photographique Meurisse.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (2554)

     

    Voici, maintenant, un extrait de la lettre de Berthe (je relève, toujours, les lettres ou les passages des lettres qui ont trait à la guerre – de près ou de loin – mais celles-là ou ceux-là seulement.

    « L’année prochaine Paul aura un vrai mécanicien pour son auto, car, de ce moment, la classe de Robert ne fait pas de travail manuel parce que les ateliers sont pris pour les réparations des autos militaires et c’est fait par les élèves de 3e année. Mais lorsque la classe 1915 sera partie, la 1ère année prendra sa place aux ateliers.

    Je termine en vous embrassant de tout cœur tous deux.

                                          Votre fille et sœur

                                          Signé : B. Randuineau »

    Je reçois ce matin, la lettre ci-dessous, de L. Courtioux :

    « Gallargues[2], le 24 8bre 1914

    Monsieur Paul

    Je vous remercie bien sincèrement de votre aimable lettre du 17 et cela m’a fait bien plaisir d’apprendre de vos nouvelles. Comme vous me le dites sur votre lettre, moi je ne suis pas à plaindre, et je vous jure – M. Paul – que quand je suis parti je ne pensais pas du tout d’aller passer une partie de la guerre auprès de la mer Méditerranée ; enfin j’en ai profité un peu pour visiter les environs : Montpellier, Nîmes, Aigues-Mortes, etc. Ce sont, du reste, des villes très intéressantes. Malgré cela je ne désespère pas d’aller d’ici peu faire un tour auprès des armées combattantes, car le capitaine nous a dit que nous étions pour partir, et cela nous fait plaisir, car nous en avons assez d’être des inutiles ; nous n’avons pas quitté nos familles pour aller visiter les villes du midi, pendant que nos camarades se font casser la figure, et le jour du départ sera certainement accueilli avec joie par toute la compagnie. Et vous, Monsieur Paul, moi qui vous connais, si actif, je comprends que vous vous ennuyez à Blois, mais vous êtes certainement plus utile à votre pays en vous dévouant à faire ce que vous avez fait jusqu’à ce jour et à soigner les blessés, qu’à prendre un fusil dans les mains et aller dans un dépôt, dans le midi ou ailleurs, en attendant que la guerre se passe, car vous n’ignorez pas probablement qu’il y a dans toutes les villes du midi des centaines de mille de militaires qui sont là et qui ne font rien.

    Alors vous voyez – M. Paul – que le rôle que vous faites est beaucoup plus intéressant que de partir pour ne rien faire ; au moins, vous, vous aurez fait quelque chose.

    Je termine – M. Paul – et vous souhaite une bonne santé et une affectueuse poignée de mains.

                              Signé : L. Courtioux

                       Territorial – 5e escadron du train des équipages,

                              25e Cie, Lunel (Hérault)

    P.S. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir présenter mes respects à madame Legendre, mère, et je lui souhaite, en même temps, une bonne santé. »

    Voila une lettre d’un brave qui ne demande – lui aussi - qu’à faire son devoir, et s’exaspère de ne rien faire et voir tant de gens « mobilisés » qui ne font rien.

    Hélas !

    Il est utile de revenir – hâtivement – sur la défense faite par la censure sur la publication des blessés et des morts. Les journaux – puisqu’il n’est possible de savoir que par les journaux – s’étaient mal expliqués. Il est bien défendu de publier la liste des blessés et des morts, excepté cependant si les renseignements sont fournis par les familles, auquel cas – alors – la publication peut-être faite. Cela est très juste et je répare comme il convient.

    [1] L’école des Arts et Métiers de Paris, où Robert entrait pour la 1ère fois.

    [2] Hérault ou Gard.