• 19 octobre 1914

    19 octobre

    Les feuilles tombent. Elles se détachent, jaunies et transparentes, elles volent loin du tronc aimé et nourricier, elles tombent les feuilles d’automne, comme là-bas - loin du village natal - envolés vers la frontière par le vent de patriotisme - ils tombent les fils de France, brunis et transfigurés. C’est l’automne.

    Le sang vermeil - là-bas - se mêle à l’or des feuilles, il coule dans les prairies verdoyantes et les sillons roux des terres de Lorraine, d’Alsace, de Champagne, de Picardie ou d’Artois…

    Par ici c’est la même majesté incomparable. C’est la même beauté prenante qui attire aux pèlerinages de la nature. Charles Guérin - que j’aime sans l’avoir connu - devait, aux Bosquets, sous ses grands arbres de Lunéville, en cette saison bénie, puiser des trésors infinis pour son âme qui épousait l’âme des feuilles. Sublime communion !

    Maurice Rollinat, à son cher Fresselines, se passait d’amour à la vue de toute cette merveilleuse saison qui - comme un souffle de poitrinaire -  passe dans la vie, sans heurt, sans tapage et sans bruit. C’est en cette apothéose qu’il s’en est allé, par une riante journée d’automne, escorté par les feuilles anémiées qui tombaient sur son cercueil. C’est en cette saison que j’aimerais mourir. Mourir à l’automne de la terre pour me réveiller au printemps du ciel. Printemps éternel !...

     

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    Chambon-sur-Cisse.- Le Grand Saint-Louis.- 6 Fi 33/23. AD41

     

    C’est dans ces sublimes paysages d’automne que je vais déjeuner au château des Terrasses, si agrestement situé, dans les frondaisons blondissantes de son parc. Le colonel - qui, sans le triste régime des fiches - devrait être général, et général de valeur - officier supérieur de la maison du Prince Victor Napoléon - et madame Nitot - artiste combien personnelle et délicate - me reçoivent avec l’accueil si simple et si aimable, qui est - toujours - de tradition chez eux.

    Le déjeuner fut très affectueusement offert, la gaieté - en raison des temps hélas ! - en étant bannie. Deux neveux chers du colonel sont à la guerre, et l’un d’eux eut son cheval tué sous lui.

    Les événements font l’objet des conversations.

    Au salon – qui est délicieux avec son air de vieux salon historique – comme au fumoir, la conversation fut ce qu’elle devait être : la France victorieuse. Elle le sera.

    Je reviens, en auto, comme à l’aller, par l’allée de Bury, en forêt de Blois, après l’examen des sauf-conduits au pont du chemin-de-fer et à celui de Blois.