• 21 novembre 1914

    21 novembre

    Il gèle toujours très fort. L’année de la « grande guerre » sera-t-elle celle d’un grand hiver ?

    Peu de monde au marché en raison du temps et de la guerre.

    L’abbé Perdriau[1] m’écrit une lettre dont j’extrais les passages suivants :

    « Château du Gatz (Sarthe)

                                    Mon cher ami

    Votre aimable et long journal est de nature à me faire honte, car je ne sais plus guère écrire longuement ; je vous remercie de tout son affectueux contenu.

    Tous les détails que vous me donnez sur vos emplois, depuis le commencement de la guerre, méritent compliment au point de vu patriotique et chrétien, car vous ne séparez pas ce double idéal. D’après ce que vous me dites, maintenant vous n’avez plus qu’à attendre la destination qui vous sera donnée ; et dans la pratique de la vie, c’est souvent ce qu’il y a de plus rassurant pour faire la volonté de Dieu, qui, ordinairement, se manifeste par les circonstances et les évènements, plutôt que par nos propres recherches où nous nous retrouvons trop[2]. Je n’ai ni blessés, ni morts dans mes proches, du reste, je suis de ceux qui ne redoutent plus les grands deuils, ni même les grandes douleurs ayant perdu les miens et le Bon Dieu ayant eu la Miséricorde de me faire passer par différentes voies où j’ai ressenti les bienfaits de la souffrance, tout en m’y faisant et l’aimant ; il y a tant de grâces qui y sont attachées !!

    Mon Père bénédictin avec lequel j’ai passé six jours cet été[3], n’est pas dans le cas, je crois, d’être appelé, il a près de 50 ans ; et, quoi qu’on puisse en dire ou penser, je l’aime mieux en son couvent que partout ailleurs, le prêtre ne devant pas verser le sang. Par les prières et les sacrifices, il aide ceux qui combattent et rend les armes puissantes. Puissiez vous avoir la paix bientôt et une paix victorieuse pour mettre fin à toutes les désolations actuelles.

    Avez-vous su la mort du fils de M. Jactel[4], de Tours ? J’allais oublier de vous dire aussi que le frère de mon bénédictin, capitaine commandant, aurait été tué à la guerre. Et combien d’autres dans mes relations !

    ….

    Agréez – mon cher ami – mes sentiments d’affection dévouée en N.S.

                                      Signé : A. Perdriau - 20 7bre [septembre] 1914 »

    Je suis de l’avis de mon ami, le prêtre ne doit pas verser le sang. Notre Seigneur ne tuerait pas, Lui qui a dit « aimez vous les uns les autres ! » et le prêtre représente notre Seigneur.

    Les commandements de Dieu ne disent ils pas, également « Homicide point ne [sera, de fait, ni volontairement], …de corps [ni de consentement]». Sur le champ de bataille le prêtre a un rôle tout autre, celui de pacifier, de prêcher la douceur, d’empêcher la guerre, de se mettre entre les canons et les fusils (s’il le faut) pour empêcher le meurtre, de ramasser les blessés, les emporter aux ambulances, les soigner, consoler les mourants, leur donner les sacrements et leur montrer le ciel, exalter leur bravoure, recevoir leurs recommandations, leur fermer les yeux (avec leur dernier souffle), prier pour eux. Quelle belle mission !

    Mais le prêtre combattant, celui qui tue son semblable, celui qui commet un homicide, celui qui verse le sang, se battrait-il en héros, avec une bravoure exemplaire, je ne l’admets pas. En se battant il peut avoir l’approbation de la majorité des gens qui ne voient que le côté humain ; cela devrait peu lui importer ! Qu’il lui suffise d’avoir Dieu pour lui. Dieu seul se chargera de lui donner la victoire.

    Tout cela est bien triste.

    6_Fi_306_00040

     

    Vers la Victoire ! La Marne, l’Aisne, l’Yser 1914.- 6 Fi 306/40. AD41

     

    État civil des ambulances (pour la semaine)

    Le 17 novembre : Jean-Marie Ducloux, 32 ans, au 31ème bataillon de chasseurs à pied (rue Franciade)

    Le 18 novembre : Taraolé Bakary sergent au 1er régiment de tirailleurs sénégalais – 4ème bataillon (Hôtel-Dieu)

    Le 19 novembre : Jean, Valentin Benazet, 28 ans, soldat au 342ème régiment d’infanterie (rue Franciade)

    Pour terminer la semaine, voici, encore, une belle poésie de M. l’abbé Augereau :

                       Tombés au champ d’honneur

    La France, d’un seul Cœur, acclame leur mémoire,

    Et tandis que vers eux s’inclinent les drapeaux,

    Dans son amour, plus haut que notre humaine gloire,

    Dieu les a conviés à l’Éternel Repos.

     

    Afin d’anéantir la barbarie immonde,

    Sans reproche et sans peur, debout, ils ont été

    À la face du ciel, pour le progrès du monde,

    Les soldats de la Paix et de la Liberté…

     

    Fiers et forts, soyons tous dignes de telles âmes :

    Ne pleurons plus nos morts des glorieux combats…

    Épouses, mères, sœurs, vous toutes, pauvres femmes,

    Vous qui les aimiez tant, priez, ne pleurez pas.

     

    La voix de votre sang, pour nous, vers Dieu s’élève :

    Nos enfants grandiront dans un espoir meilleur :

    Et la France vivra, selon votre grand Rêve,

    Nobles martyrs, tombés pour Elle, au champ d’honneur !

     

    La France d’un seul cœur, acclame leur mémoire,

    Et tandis que vers eux s’inclinent les drapeaux

    Dans son amour, plus haut que notre humaine gloire,

    Dieu les a conviés à l’Éternel Repos…

    (21 novembre 1914)                (Albert Augereau)

    [1] Demeurant à Tours (Indre-et-Loire) 8, rue Paul-Louis Courrier et au château du Gatz par Ruillé-sur-Loire (Sarthe)

    [2] Comme il a raison

    [3] Dom ……… , bénédictin à l’île de Wight

    [4] Négociant, place Gaston Pailhou à Tours (Indre-et-Loire)