• 31 mars 1915

    31 mars 1915

    Il fait meilleur, aussi demain, pour aller à Chitenay, j’espère avoir du beau temps.

    J’envoie des cartes joyeuses de poisson d’avril à Chitenay, à Charles, au général Gervois, à Gallon et à Nizon, et à Blois (ambulance 1 bis) à Mêmereau.

    J’écris à Chitenay que, délégué par le ministre de la guerre, j’irai à Chitenay, demain jeudi, faire une enquête sur place pour relever les noms des « z’héros » qui se sont signalés à la fameuse attaque des caves de Chitenay, le 26 mars dernier, afin de distribuer les récompenses le lundi de Pâques.

    En quelle perspective de joie tout cela va les mettre !

    Ce matin, avec le toujours même retard, je reçois de Charlot la carte suivante :

    « Monsieur Paul.

    J’ai reçu vos jolies correspondances. Je vous attendais aujourd’hui lundi, mais je vous attends sans faute mardi. Si vous vouliez bien avoir la bonté de m’apporter de jolies cartes postales. Bien le bonjour de toute la brigade ; j’attends nos décorations mardi.

    Remerciements de Gallon pour la carte. Violente poignée de main : Charles. »

    Une autre de Charlot, encore, avec ce seul mot, qui prouve qu’il ne s’ennuie pas :

    « Amusement Viard Charles. »

    Enfin une carte, qui m’arrive très en retard :

    « J’ai reçu vos deux cartes ; j’ai reçu des nouvelles des fusiliers marins. Je pense qu’ils ont très bien reçu le colis. Je vous attends lundi. Mille remerciements à M. Legendre : Viard »

    Paul Robert m’écrit de :

    « Nevers, 30 Mars 1915

    Chez madame Dubout, 30 rue des Récollets

    Bien cher Paul

    Je ne veux tarder plus longtemps à t’écrire quelques mots pour te remercier, ainsi que ta bonne maman, du si chaud[1] et si gentil accueil que j’ai trouvé chez toi.

    Je m’en doutais bien un peu, et c’est pourquoi je me réjouissais longtemps à l’avance d’aller passer quelques heures avec toi. Je ne regrette qu’une chose c’est de n’avoir pas pu disposer de mon temps comme je le voulais me permettant ainsi de savourer plus longtemps les charmes de ta bonne compagnie.

    Mais j’espère, malgré tout, que c’est la première mais non la dernière fois que nous nous voyons et que la prochaine occasion de nous revoir ne tardera pas à se présenter.

    Merci aussi pour les belles choses que tu m’as fait voir dans ta belle ville. Sois bien sûr que j’emporterai longtemps un doublement bon souvenir de mon court séjour à Blois.

    Il n’y a plus qu’à souhaiter une chose, c’est que bientôt, à mon tour, j’aie le bonheur et le grand plaisir de te faire admirer les beautés et, hélas ! les ruines de notre chère Lorraine. Je suis arrivé ici en ligne directe, car après avoir cherché, oh ! pas bien longtemps, à Vierzon, s’il y avait des hôtels d’ouverts, j’ai réintégré, presqu’aussitôt, mon compartiment où j’ai repris jusqu’à Saincaize, mon petit somme interrompu. Tu vois que, malgré tout, je n’ai pas passé une trop mauvaise nuit. J’ai déjà fait quelques petits tours dans la bonne ville de Nevers, qui ressemble assez, comme tu me le disais, à Blois ; il faut – presque tout le temps – ou monter, ou descendre. Les bords de la Loire ressemblent un peu à cette promenade du mail, de sorte que, bien souvent, je me crois encore à Blois. Le palais ducal ne vaut pas ton château, à beaucoup près, je crois ; je compte en visiter l’intérieur un de ces jours. Je ne regrette qu’une chose c’est de n’avoir pas retrouvé ici le bon soleil de l’Angoumois ; mais comme je suis ici pour un petit bout de temps, j’espère bien avoir la visite du soleil plus d’une fois.

    Je m’attendais, presque, ces jours-ci, à la visite de mon cher papa. Quoiqu’il n’ait pas répondu encore à ma lettre de Blois, je vois cela de loin.

    Cher grand frère, un bien affectueux merci encore pour cet accueil dont je conserverai longtemps le souvenir, je te prie d’être mon interprète auprès de ta bonne maman pour lui transmettre, en même temps que mes hommages affectueux, un chaleureux merci pour cet accueil si aimable.

    Au revoir, mon bien cher Paul, reçois une affectueuse accolade de ton toujours bien à toi.

    Signé : Paul Robert. »

     

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    Chitenay.- Château de Malabry. Les communs et entrée.- 6 Fi 52/2. AD41

     

    Enfin pour clore la journée voici encore une carte de Charles. Le cher enfant ne m’oublie pas. Cette carte représente le château de Malabry (porte d’entrée) ; à la bonne heure ! Cela change un peu.

    « 30 Mars. Monsieur Paul

    6 heures 1/2 du matin.

    Je vous écris cette carte ; vous voyez que je suis matinal. Ce matin il y a de la neige. Hier nous avons continué notre attaque et elle a bien réussi, malgré les contre-attaques de la cheffesse. Moi j’étais agent de liaison en bicyclette, ou, comme espion, j’examinais les maisons où les caves étaient faciles à prendre. Enfin attaque réussie.

    Je vous serre cordialement la main : Charles. »

    Quelle correspondance j’ai avec tous ces braves soldats, de tous les côtés !

    Pendant ce temps là la guerre se passe, et comme il n’y a rien de saillant à noter, les journées ne passent pas inaperçues.

    [1] pourquoi me dit-il cela ? Justement, ce jour là, il ne faisait pas chaud du tout, il faisait un froid de loup, et la réception, à la maison, n’était pas aussi chaude que je l’aurais voulu.