• 28 mars 1915

    28 mars 1915

    Les Rameaux

    Les Rameaux ! Pâques fleuries !

    Cette année, sur les tertres qui verdoient, parmi les champs de bataille, la branche de buis béni ira se planter dans le sol, s’accrocher à la croix rustique, hâtivement faite.

    Puissent-elles ces palmes bénies nous annoncer bientôt la victoire. Comme sur les pas de Notre Seigneur, entrant à Jérusalem, dans les acclamations et le triomphe, puissent-elles se parsemer sous les pas de nos armées victorieuses, alors que la France, toute entière, retentira du « Te Deum » d’action de grâce et de gloire.

    Je vais à la messe à Saint-Vincent et en rapporte la branche traditionnelle ; puis je vais à l’ambulance prendre des nouvelles de Gérard, il ne va pas trop mal ; ensuite je vais au cimetière de Vienne déposer une branche de buis sur la tombe de nos chers parents.

    Le tantôt je ne sors pas, il fait froid ; mais le soir je vais à la cathédrale – après dîner –où il y a la belle et impressionnante cérémonie de l’adoration de la croix. O Crux Ave ! …

    Encore une lettre que je reçois d’une dame habitant Cherbourg, chez laquelle Charles descendait quand il était dans la flotte à Cherbourg, avant la guerre. Je lui ai envoyé une photographie du jeune et brave fusilier ; sa lettre est encore une preuve de l’amitié, de l’affection sincère que le cher enfant sait créer autour de lui partout où il passe.

    « Cherbourg ce 24 mars 1915

    Monsieur

    Votre bonne lettre m’arrivait au moment où je venais d’être frappée dans la plus chère de mes affections ; mon fils est décédé à l’hôpital de Breteuil-sur-Noye (Oise), de la fièvre typhoïde, et ce qui me navre le plus c’est sa mort si vivement faite et sa dernière lettre, 4 lignes :

    « Ma chère Maman. Je tiens à te faire savoir que je suis à l’ambulance de Breteuil, mais nous sommes mal soignés. »

    Hélas ! Ce cher enfant s’il eut été dans une maison comme celle de Blois, et entouré de soins affectueux comme les vôtres – monsieur – je pense que mon cher fils unique serait encore de ce monde, car si les remèdes font bien, les bons soins assidus et les douces paroles de ceux qui se dévouent pour ces chers blessés agissent encore mieux ; et c’est ce qui ne peut se faire dans ces ambulances provisoires. Que je bénis Dieu et le remercie pour votre cher neveu d’adoption, notre grand ami, pris en grande affection par mon cher mari, du même pays, même situation – puisque mon cher mari était un enfant abandonné, et qui seul aussi a su faire son chemin ; 15 ans de services, 5 médailles et la médaille militaire qu’il aurait eue en janvier dernier. Aussi je puis vous dire que j’ai écris cette bonne nouvelle à mon cher prisonnier, que ce petit Charles avait eu le bonheur de rencontrer un cœur d’or sur son chemin, un oncle ! Plus ! Un père d’adoption ; et que mon mari ; comme moi, sommes très heureux de cette adoption ; et je suis certaine que ce petit Charles vous donnera toute satisfaction ; mais malgré tout nous ne désespérons pas le revoir à Cherbourg, et toujours notre petit foyer lui sera ouvert et il sera toujours le bienvenu. Monsieur, merci de l’envoi de sa photo, il est très bien réussi et je constate que c’est un gentil jeune homme et digne de tous éloges ; et je ne lui souhaite que prompt rétablissement, et s’il retourne sur le front, que le Bon Dieu lui épargne les balles ennemies, et la peine d’être prisonnier, car – hélas ! – ces chers prisonniers se plaignent tous de la faim, et à mon mari j’envoie du pain et des vivres toutes les semaines. Que c’est triste cette guerre !

     

    80_Fi_00027

    Soldats russes prisonniers des allemands.- 80 Fi 27.- AD41

     

    Monsieur, permettez-moi de vous offrir toutes mes félicitations et tous mes meilleurs compliments de bonheur pour l’acte de brave cœur que vous faites pour notre cher petit Charles, et veuillez agréer tous mes remerciements et mes hommages les plus sincères :

    Signé : M. Vautier

    Ci-joint un petit mot pour Charles ;

    75, rue Emmanuel-Liais

    Cherbourg (Manche) »

    Pauvre dame ! Elle est éprouvée par la mort de son seul fils, par la disparition de son mari fait prisonnier, et elle trouve encore, dans son cœur, des paroles de réconfort et de bonté pour les autres.

    Que de louanges – après tant d’autres – elle fait de ce cher petit Charles.

    En prenant sous ma protection ce cher enfant, le Bon Dieu m’a comblé de joie et de récompenses, tellement j’ai de satisfaction du cher petit. Qu’il en soit béni !

    État civil des ambulances pour la semaine :

    Du 19 mars : Aimé, Ludovic Destouches, 32 ans, soldat au 101e d’infanterie (collège) ;

    Du 22 mars : Albert Dangé, 28 ans, soldat au 113e régiment d’infanterie (Hôtel-Dieu).