• 24 mars 1915

    24 mars 1915

    Les zeppelins reviennent sur Paris, mais leur échec est aussi complet que la première fois.

    Sur le front oriental on annonce la prise de Memel, la capitulation de Przemyśl et la chute prochaine de Constantinople. La capitulation de Przemyśl est un événement de grande importance, elle rend disponible les 150 000 russes qui assiégeaient cette importante place forte autrichienne depuis novembre ; en outre elle fait prisonniers neuf généraux, 93 officiers d’état-major, 2 500 officiers et hauts fonctionnaires, 117 000 hommes. C’est une affaire de la plus haute importance qui ouvre la porte des Carpates, sur Cracovie, Buda-Pesth [Budapest], Vienne et Breslau.

    Voilà, enfin, du bon travail.

    Après-midi – à bicyclette – par la forêt – je vais aux Montils, à la propriété de M. le docteur Corby, pour quelques renseignements à y prendre.

     

    6_Fi_147%00011

    Les Montils.- Place de la Croix-Rouge.- 6 Fi 147/11. AD41

     

    Puis, vers 3 h, je pars pour Chitenay, par Seur, Vrilly et le vieux château du Fay. Il fait bon et les violettes parsèment les bois. En face le Fay, je tourne – au hasard – pour passer par la Cocherie. Soudain, étant au fond du ravin, j’entends des sonneries de clairon qui éclatent du côté de la Cocherie, d’autres sonneries répondent du côté de la Florentinière. « Qu’est-ce ceci ? » Je reconnais les sonneries, elles m’ont tout l’air d’être sonnées par des soldats. Je mets pied à terre. Les sonneries se rapprochent, elles se répondent toujours. Je reviens sur mes pas. A un détour je me trouve, face à face, avec deux blessés de l’ambulance du château, puis en voici d’autres qui reviennent d’une promenade à la Cocherie, voici là-bas Charlot et le général ; ils m’aperçoivent. Le gros de la colonne continue son chemin, à travers bois, mais Charles et le général restent. Quel heureux hasard d’avoir passé par ce chemin-là ; si j’étais allé directement au château je ne les aurais pas vu. Ils reviennent de la Cocherie où un garde leur a offert des rafraîchissements ; maintenant ils vont chez l’aumônier : l’abbé Rabier, goûter à son vin blanc. Je cause avec Charlot et le général, un bon bout de temps, et leur remets quelques petits cadeaux, notamment une pipe. Charlot me donne un gentil petit bouquet qu’il a cueilli dans les bois de la Cocherie.

    « Ne vous mettez pas en retard, mes enfants ! » leur dis-je. Quelques gouttes de pluie tombent. « Allez goûter le vin de l’aumônier et amusez-vous bien.» « Quel jour reviendriez-vous ? – Mardi ! – Bon, eh bien ! à Mardi !... » – « Amusez-vous bien ! Moi je vais repasser par la forêt. » Je quitte mes chers amis qui s’enfoncent sous bois. « En revenant de chez l’aumônier, leur dis-je, il se pourrait, ce soir, qu’il y eut du vent dans les voiles !... »

    « A la baïonnette ! » disent-ils gaiement en s’enfonçant sous bois. On entend les clairons qui sonnent. Je repars, passe au Fay, à Vrilly – les sonneries de clairon se font entendre lointaines – Seur. La forêt commence à verdir et les sous-bois s’estompent déjà de vagues taches verdoyantes. Comme il fait bon !