• 21 mars 1915

    21 mars 1915

    La nuit dernière quatre zeppelins ont survolé Paris entre 1 h 1/4 et 3 h du matin. Ayant été signalés, en quelques minutes – à son de trompe – les Parisiens plongés dans le sommeil furent réveillés et prévenus, et quelques instants après, la capitale, après l’extinction des lumières – fut plongée dans l’obscurité la plus complète. Il en résulta que les zeppelins qui étaient à une grande hauteur, passèrent Paris et laissèrent tomber sur la banlieue ouest : Neuilly, Asnières, Levallois, Courbevoie, etc. Chassés par nos avions et par nos canons qui les bombardaient ferme paraît-il, dévoilés par nos puissants rayons lumineux, ils rebroussèrent chemin, poursuivis par les rires et les huées des Parisiens qui ne furent nullement effrayés de cette aérienne mascarade, et par nos escadrilles qui les harcelèrent de leurs attaques meurtrières. On dit que deux zeppelins furent atteints. Est-ce vrai ?

     

    effets bombes zeppelin

    Effet des bombes des Zeppelin, 1915.- Agence photographique Meurisse.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (2543)

     

    Quel toupet ils ont ces bandits-là !

    Ils se figurent que leurs « vessies de cochon » vont effrayer les français ! Ils se mettent le doigt dans l’œil les misérables ! Nous verrons bien.

    Ce matin le courrier m’apporte une lettre du joyeux Gervois. Les nouvelles qu’il me donne de Charles sont mauvaises. Je suis très inquiet.

    Si j’avais mon auto j’irais à Chitenay ; l’auto a cela de bon.

    « Chitenay le 20/3/15.

    Cher ami

    Je réponds à votre carte que j’ai reçue hier et j’aurais voulu vous répondre d’une façon joyeuse, mais hélas ! le camarade Charles doit garder le lit les fièvres l’ont repris, ce soir il a 39°2, aussi je suis près de lui en ce moment que je vous écris, et espérons que cela se passera. Je vous remercie pour Charles du petit colis que vous m’avez envoyé et cela tombe à point, car il a une soif atroce, aussi espérons que cela n’aura pas de suite. J’attends mardi avec impatience et dans l’espoir que notre ami Charles sera sur pied pour vous recevoir pour l’assaut au fleuret. Je termine en vous serrant cordialement la main.

    Votre ami.

    Signé : Paul Gervois. »

    Pauvre Charlot ! Je voudrais bien être à mardi pour avoir de ses nouvelles.

    Je vais ce matin à Sainte-Geneviève, à la première messe de M. l’abbé Gers, du diocèse de Toulouse, ordonné prêtre hier. La chapelle est remplie d’une assistance recueillie. Quelle belle et impressionnante cérémonie !

    Au chant du « Veni Creator » le cher abbé monte à l’autel ; il est dirigé par M. l’abbé Huret, aumônier. Puis des chants religieux, chœurs ou soli, sont interprétés dans la partie réservée à l’ambulance ou dans la tribune des orgues. Il y a deux enfants de chœur : un sergent d’infanterie coloniale et le bon Pierre Gallon, le jeune quartier-maître des fusiliers marins, l’ami de Charlot.

    Ils sont – tous les deux – dans leur costume militaire et le cher quartier-maître est charmant.

    Mademoiselle Yvonne de Bournonville[1] fait la quête. À l’évangile, le jeune prêtre se tourne vers l’assistance et prononce son premier sermon. Sa voix est émue, cela se comprend, douce, avec l’accent de Toulouse ; il parle peu haut, et s’adresse plutôt à ses parents, à ses amis de l’ambulance ; il parle longuement.

    J’ai le grand bonheur de recevoir la Sainte Communion de ses mains.

    Le Saint-Sacrifice se termine par la première bénédiction du jeune prêtre ; instant émotionnant.

    Sur le champ de bataille que de fois, sur de pauvres blessés, sur de pauvres mourants, il aura à faire tomber la toute puissante bénédiction.

    La messe est terminée.

    Je sors, et dans la cour de l’ambulance, je retrouve le bon Gallon. Nous causons en nous promenant dans la cour, longuement ; il est très gentil. Je le félicite de sa mission d’enfant de chœur qu’il a accomplie merveilleusement ; et c’est la première fois de sa vie, me dit-il, qu’il est enfant de chœur. Je le charge de commission pour Charles, et je lui dis : « à mardi !»

    Le soir, après dîner, je vais au sermon de Carême à la cathédrale. Le prédicateur de la station est M. l’abbé Servais, du diocèse de Sens (Yonne).

    [1] rue du Palais, 9