• 11 et 12 mars 1915

    11 et 12 mars

    J’apprends une mauvaise nouvelle. Le brave M. Martineau, entrepreneur de plomberie, rue du Vieux-Pont, qui se bat sur le front depuis le commencement de la guerre, vient d’être grièvement blessé « fracture du crâne – dit le major qui écrit de l’ambulance de Lavoye (Meuse) où il est évacué – état grave. »

    Lavoye se trouve en pleine Argonne, madame Martineau part immédiatement pour voir son mari, pourra-t-elle arriver jusque là ? Et si elle y arrive, arrivera-t-elle à temps ? Hélas ! Un si brave, honnête et excellent homme. C’était un des bons ouvriers que j’aimais à recommander. Cette nouvelle me cause un sincère chagrin.

    Cependant il faut espérer.

    Pour l’instant les combats sont acharnés sur le front et on signale des morts et des morts ; il faut attendre pour les citer ici, car souvent l’opinion s’affole et jette des noms au hasard ; il convient – par respect – d’attendre.

    « On dit » que deux compagnies du 39e territorial ont été décimées ces jours ci. Qu’il y a-t-il de vrai dans cette nouvelle ? Et cette compagnie – ajoute-t-on – était composée de beaucoup de Blésois.

    Pour tout cela il faut attendre.

    Je vais à l’ambulance ce soir. Charles part- hélas ! - définitivement lundi pour Chitenay – et cette nuit sera la dernière que le cher petit passera sous ma garde. Il dort bien et la nuit se passe calme, pour lui comme pour tous. Le réveil est très gai, et mon petit marin est le pinson de la salle.

    Il est arrivé bien souffrant, le cher enfant, et il s’en ira bien portant, laissant à l’ambulance les plus sincères amitiés.

     

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    Blois.- La cathédrale.- 103 Fi 20. AD41

     

    Je rentre vers 7 h 1/2. J’entre à la cathédrale, en passant ; il y a eu – hier au soir – une superbe cérémonie pour les morts tombés pour la Patrie, et la nef est entièrement tendue de deuil, avec un catafalque très élevé au centre, et des faisceaux de drapeaux aux piliers.

    Le soir vers 4 h je vais passer quelques instants à l’ambulance ; ce sont les derniers jours de mon cher marin, et je veux le voir souvent.

    Le bon Dargent m’écrit :

    « Chitenay le 10 février 1915

    Mon cher monsieur Legendre

    J’ai tardé à répondre à votre lettre car comme vous me parlier que vous aviez l’intention de venir me voire mardi mais je me suis bien douté que par le mauvais temp qu’il fesait hière que j’aurais pas le plaisire de vous voire pour pouvoire vous remercier de vive voie du dérangement que je me suis permis de vous demander et je vous dirais que le jours que je vous et écrit de bien vouloire parler au docteur M. Açoloni pour moi que M. le marquis avez téléphoné à l’hopital parceque on me réclamer déjat mais maintenant je ne sait pas ce qui c’est passé depuis M. le marquis ne ma plus parlé de rien, et moi je n’est pas parlé à M. Bigot de rien comme il me fait toujours suivre le même régime c’est pour cela que je ne voyer pas la nécessité de lui en parler. Et ci monsieur Legendre aurait put venir hière je vous aurais demander votre avis à ce sujet mais ce seras quand il feras un peu plus beau temps. Je vien de reçevoire une lettre de mon cher ami Charle qu’il me dit qu’il en a encore pour 15 jours à l’hopital je n’aurais pas le plaisire de passé quelques jours en semble comme je me le prométer toujours mais il me dit qu’il vat bien qu’il ne soufre plus, mais il me dit aussi que ma Sœur Marcelle est toujours soufrante. C’est bien malheur je n’aurais pas le plaisire de pouvoir lui dire au revoire avant que de partire. M. Legendre c’est demain jeudi et Mme la marquise vien de nous dire que nous allions touts à la messe demain parce que c’est un soldat[1] de Chitenay que l’on mets en terre demain à Chitenay et c’est pour cela que nous irons pour lui rendre les dernière honneur du pauvre malheureux soldat et dimanche dernier nous avons été au vêpre à 3 heures. Je suis toujours un peu mieux que quand j’ai quiter l’hopital mais j’ai encore bien des douleurs. Je vous prie de dire bien le bonjour à madame Legendre votre si bonne mère et à ma Sœur Marcelle et à mon ami Charle et à tous les camarade quand vous les vérré je vien d’avoire des nouvelles d’eut tous par M. le marquis qu’il vient de rentré de la veillé.

    Toujours votre très scincère ami qui vous serre la main de loing

    Signé : Dargent Patrice

    Chitenay le 11 Mars 1915

    Mon cher M. Legendre

    Je vous avais écrit hière mais le courier na pas partie c’est pour cela que j’ai encore retrouvé ma lettre ce matin dans le panier ou nous les mettons et j’en profite pour mettre deux mots dessu.

    M. Legendre à peuêtre attrapé frois à passé la veillé lundi soire pour être enrhumé comme cela alors vous avez bien fait de ne pas venir mardi par un ci mauvais temp mais soyez tranquille je pence que nous ne serons pas de plus mal amis ensemble au sujet du docteur vous verrez ce que je vous explique en deux mots. Bien le bonjour de ma part à Mme Legendre, à ma Sœur Marcelle et à Charle et j’ai peur de partir lundi je vous le ferais savoir aucitôt que je le saurais.

    Et nous partons tous de suite pour la messe à Chitenay.

    Toujours votre ami sincère qui vous serre la main.

    Signé : Dargent Patrice. »

    [1] Gaston Dublineau