• 14, 15 et 16 mai 1915

    14, 15 et 16 mai 1915

    [14 mai] Nizon m’envoie un petit mot de Sevran (Seine-et-Oise) me disant qu’il est toujours en bonne santé.

    Le farceur de René m’envoie une carte représentant une chevauchée de boches… à têtes de cochon, se rendant vers Paris.

    « Regardez ces boches, écrit René Daveau, ils veulent y aller à Paris ? Un coup de baïonnette d’un fusilier-marin appelé Charles suffira pour les arrêter. Bon souvenir René D. »

    Actuellement tout est calme, ou plutôt les communiqués le disent, sur tous les fronts.

    Espérons en l’intervention de la Bienheureuse Jeanne d’Arc. Dimanche sera la dernière journée de la neuvaine, ce jour-là Jeanne fera des miracles. Ô Jeanne, Ô Jeanne sauvez la France !

    [15 mai] Le printemps est dans toute sa splendeur. Un renouveau de vie passe dans toutes les plantes, dans tous les arbres, dans tous les êtres animés ; c’est le printemps de la nature.

    Un renouveau de foi aussi passe dans toutes les âmes, dans toutes les consciences, c’est le printemps de la religion.

    Sur les champs de bataille, surtout, alors que le peuple barbare, déicide et satanique se livre aux horreurs d’un « assassinat immense, immonde et sans précédent », nous, nos soldats de France, notre peuple de France, célébrons les Saints mystères, adorons le très Saint Sacrement, exaltons le Saint Sacrifice. Partout, sur un autel hâtivement élevé, la Sainte messe est célébrée, les Saintes communions sont données, les hymnes religieux sont chantés à la gloire du bon Dieu.

    Gloria in excelsis Deo !...

    De tant de sacrifices, de tant de conversions, de tant de mérites, de tant de retours, de tant de dévouement, de tant d’actes héroïques, de tant de foi, de tant de démonstrations d’amour, Dieu aura pitié et pardonnera à la France coupable – oh oui ! – mais bonne, sincère et repentante. Dieu aura pitié et donnera la victoire !...

    [16 mai] Ce matin - à 7 h 30 - a lieu au sanctuaire de Notre-Dame-des Aydes, la messe de clôture et de communion de la neuvaine à la Bienheureuse Jeanne d’Arc.

    Nous y allons, maman, Charlot et moi. Il y a presque toute la ville de Blois. monseigneur l’évêque célèbre la sainte messe ; les chants sont dirigés par M. l’abbé Rothier, aumônier de l’Hôtel-Dieu. La Sainte communion est distribuée aux deux autels pendant près d’une heure ; elles peuvent s’élever à un millier peut-être plus. Le spectacle est très beau et très réconfortant. La statue de Jeanne d’Arc est parée de bouquets de fleurs que chacun apporte. Bienheureuse Jeanne d’Arc Sauvez la France !

    Ensuite, avec Charles, nous allons au cimetière prier sur la tombe de mon cher père.

    Après-midi, toujours avec la même gaieté, à bicyclette – car l’auto est toute prête pour le grand voyage de demain – nous allons à Candé, Charles et moi, par Chailles, Villelouet, etc.

     

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    Chailles.- Vue d’ensemble prise de la forêt.- 6 Fi 32/9. AD41

     

    C’est la 1ère communion. Avant vêpres nous allons nous promener, toute la famille Daveau, Marthe et des jeunes filles des environs du bourg, dans les bois de la Gendronnière. Qu’il y fait bon ! Dans une petite allée sous-bois il fait une température délicieuse ! Le temps est chaud, l’azur est d’un beau bleu, le soleil est pénétrant. La joie nous accompagne et je n’ai pas besoin de dire qu’avec Charles, avec Jeanne et Marthe, nous sommes gais. Avec des « jeunesses » on redevient jeune. Soyons gais, je l’ai déjà dit, c’est le meilleur remède ; rester jeune, c’est passer sa vie dans le même éternel printemps.

    Les vêpres sont à 4 h. Tous nous y allons.

    Les petits garçons et les petites filles de la 1ère communion sont assez nombreux. M. l’abbé Brisset, missionnaire diocésain, prêche. La procession, croix et bannières en tête, sort de l’église, après le renouvellement des vœux du baptême ; elle descend par la rue basse, passe par la grand’ route et revient par le chemin de la mairie. Je reste sur la verdoyante place de l’église pendant que la procession parcoure les rues du bourg. J’admire le ravissant paysage qui s’étend devant moi. Cette paisible vallée du Beuvron, toute houlante de verdure, ces petites maisons entassées les unes contre les autres, ce petit pont qui enjambe la rivière, ces petites filles en blanc qui entourent la bannière de la Sainte Vierge et qui passent là-bas entre deux échancrures de maisons ! Comme tout cela est charmant. Les cantiques chantés par des voix jeunes montent jusqu’à moi et se mêlent au chant des oiseaux et aux cloches qui sonnent à toute volée. Charlot, René et d’autres jeunes gens de Candé, sont grimpés dans le clocher, et en bras de chemise, tirent les cordes des cloches et sonnent, et sonnent à toute volée jusqu’à la rentrée de la procession.

    Aussi après le Salut du très Saint Sacrement, M. le curé nous invite-t-il à aller boire un verre de bière au presbytère. Ce n’est pas de refus.

    Mais le temps se couvre de gros nuages noirs, orageux et menaçants. La chaleur a amoncelé des réserves d’électricité. Aurons-nous de l’orage ?

    Espérons sur du beau temps pour demain.

    Nous nous rafraîchissons encore chez Mme Daveau, puis chez Mme Revault, tout le monde nous veut, et nous enfourchons nos « bécanes » ; il est 7 h 15 et nous ne serons pas à Blois avant 8 h. Maman va nous attraper, car nous allons être en retard pour dîner.

    « En route ! » tout le monde nous souhaite « bon voyage ! » pour notre excursion de demain en Nivernais et nous partons.

    À Blois, nous nous couchons tôt car demain matin, à 3 h « réveil en fanfare ! »