• 9 et 10 juin 1915

    9 et 10 juin 1915

     

    [9 juin] Ce matin il fait meilleur, la pluie de cette nuit a rafraîchi la température. Nous allons à Santenay à pied, de très bon matin, j’ai, en effet, rendez-vous à 6 h. Des dépôts de troupes sont à Bourgueil et sillonnent la campagne. Je reste toute la journée à Santenay, où je continue mes vérifications, et où nous déjeunons. La campagne est superbe, en cette saison. Mille senteurs suaves montent de la terre. Nous revenons à Bourgueil où nous dînons à l’hôtel. Un sculpteur, M. [Léon] Bigot, nous fait visiter son atelier. Après-dîner nous faisons un petit tour jusque sur la route de Port-Boulet, et nous rentrons à l’hôtel. Bien entendu, pendant notre séjour, nous envoyons des cartes à la famille, sans oublier Charlot.

     

    [10 juin] Nous partons ce matin – vers 6 h de Bourgueil – Robert au volant. Il fait très bon, un léger brouillard voile les horizons. Après un court arrêt à Santenay, pour saluer l’aimable famille Perrochon-Renou, nous revenons par le même chemin. À Tours, nous nous arrêtons pour faire différents achats, notamment chez Jouet, les grands fabricants de meubles. Nous repartons de Tours, après une heure d’arrêt environ. Nous sommes à Candé vers 11 h 30. Nous sommes retenus à déjeuner. Robert va en auto, aux vignes de la Cahouère, avec René, mais au retour un pneu éclate. Juste, aussi, éclate un orage et une pluie torrentielle. Enfin nous quittons à regret le bon pays de Candé vers 4 h.

    En rentrant nous trouvons toute une correspondance. Berthe écrit d’abord à Robert une carte-lettre :

    « J’ai reçu ce matin un mot de Charles, il met son adresse, il dit qu’il est dans les tranchées assez tranquille, mais ils préparent un grand coup pour cette semaine. Remercie bien ton oncle pour nous de ses photos qui nous ont fait grand plaisir, il[1] est très bien… »

    Puis voici une lettre de Tardy, ce brave Tardy qui a eu les orteils enlevés par suite de pieds gelés.

    « Chitenay le 5 juin 1915

    Cher monsieur

    Je vous envoie cette lettre pour vous faire savoir de mes nouvelles.

    J’ai fait un excellent voyage, mais j’étais un peut fatiguer mais à présent ça vas tout seul, mes pieds vont beaucoup mieux et je suis très bien dans ma nouvelle résidence, je ne pouvais pas trouver mieux, car M. le marquis et Mme la marquise sont charmants pour nous et me demande ci j’aurais assez de reconnaissance pour Mme Croisier, car c’est à elle que je doit mon bonheur actuel. Je vous dirais que j’eu beaucoup de peine de quitter cet hopital où j’étais ci biens et où j’ai eu des soins ci-dévoués de la part de ses dames qui ont été très dévouées pour moi et en particulier Mme Denöel, elle qui était ci bonne pour moi ; enfin que voulez-vous ce n’est pas quinze jours de plus ou quinze de moins qui m’aurait avancer et puis un peut de changement cela ne fait pas de mal ; je suis très bien, mais il me manque cette bonne madame Denöel qui était pour moi une seconde mère.

    J’espère qu’un de ces jours j’aurais le plaisir de vous voir car vous m’avez promis de venir. Croyez monsieur, que je serait toujours heureux de passer un moment avec vous, car je vous dois beaucoup de reconnaissance aussi, vous à qui j’ai donné tant de mal quand vous étiez de veille dans ma salle. Aussi croyez que je n’oublierai jamais tout ce que vous avez fait pour moi.

    En attendant le plaisir d’avoir de vos nouvelles veuillez agrée tous mes plus profonds respects.

    Votre tout dévoué et reconnaissant blessé.

    René Tardy. »

    Puis voici une autre lettre de Berthe à Robert, d’où j’extrais les passages suivants :

    « … J’ai écrit à Charles lundi soir, en lui envoyant un petit paquet ; je lui ai dit que nous avions sa photographie et que nous en étions très heureux. Remercie à nouveau ton oncle pour nous et dis-lui que je les ai montrées au bureau et que tout le monde lui fait des compliments sur la façon dont il soigne ses malades, car ils sortent avec une bonne figure. Dis-lui également que s’il est embarrassé pour lui envoyer des petits colis qu’il me dise ce qu’il veut lui faire parvenir et je m’en chargerai... »

    Cette bonne lettre est bien digne du bon cœur, généreux et compatissant de ma sœur.

    Voici une lettre de Pierre Gallon :

    « 4 juin 15

    Monsieur Legendre

    Comme vous l’a dit Charles notre départ du Grand Palais a été précipité, et nous voilà rendu à destination. Je suis affecté à la 2e Cie du 1er bataillon et Charles est à la 1ère Cie du 1er bataillon, nous pourrons nous voir quand nous le voudrons et j’en suis très heureux et lui aussi.

    Nous sommes assez tranquilles ici, en compagnie des zouaves et des Anglais. Je vais toujours très bien, et je termine en vous embrassant.

    Votre petit ami : Pierre.

    Quartier-maître électricien 1er de marins

    1er bataillon 2e Cie secteur 131 »

    Voici, enfin, 2 lettres de Charlot.

    « Villa la tranchée le 6 juin 15

    Cher monsieur Paul

    En ce moment je suis dans la tranchée, la canonnade passe par-dessus ma tête, c’est un joli concert. Je vous garantis que l’on donne 1 F. pour aller au cinéma, ce n’est pas si intéressant qu’où je suis. Au cas où vous n’auriez pas reçu ma lettre dans laquelle je vous disais de m’envoyer un flacon d’alcool de menthe et de l’alcali ; je vous garantis on a bien besoin de se désaltérer, il fait si chaud et même pas de l’eau bonne à boire. Ah ! je vous assure elle ne vaut pas celle de Touraine. Bien le bonjour à madame Legendre ainsi qu’à Robert. Je vous serre cordialement la main. Viard Charles. »

     

    Ricqlès

    Alcool de menthe Ricqlès, affiche publicitaire, A. Barrère.- Bibliothèque nationale de France, ENT DN-1 (BARRERE,Adrien/2)

     

    Voici la seconde lettre datée de

    « Coexide [Coxyde], le 7 juin 15

    Cher monsieur

    Je viens de tirer 48 heures de tranchées, ça s’est très bien passé. Je ne sais si vous avez reçu ma carte où je vous disais de m’envoyer une bouteille d’alcool de menthe, si elle n’est pas partie vous y ajouterez du papier à lettre. Je commence à me réhabituer. Nous sommes dans les dunes de sable ; le sable nous brûle les yeux, il fait une chaleur épouvantable, nous avons de l’eau désagréable à boire. Enfin j’espère que la guerre va s’avancer à présent. J’ai déposé 20 F. chez votre sœur et tous les mois vous recevrez 15 F. J’ai attrapé un rhume formidable, je tousse beaucoup, mais j’espère que ça se passera. Quand vous irez à Candé, bien le bonjour. Je ne vois plus grand-chose à vous dire que j’espère que ma lettre vous trouve tous en bonne santé.

    Votre neveu à la mode de France

    Je vous serre cordialement. J’attends de vos nouvelles. Je n’ai encore rien reçu depuis 8 jours.

    Viard, Charles

    1er régiment de fusiliers marins, 1er Bataillon, 1ère Cie, 1ère section, 4e escouade, secteur postal 131. »

    [1] Charles