• 4 et 5 juin 1915

    4 et 5 juin 1915

    [4 juin] Malgré les jours longs, malgré un printemps idéal, rien n’avance à la guerre et le front reste toujours ce qu’il était il y a six mois, ou à peu près.

    Que cette guerre est longue ! Il me semble que, si tout avait été préparé, nous n’en serions pas là ; il me semble que si nous avions empêché les Allemands de pénétrer en France, nous n’aurions pas eu tant de blessés, tant de morts, que la guerre serait finie, que chacun serait rentré dans ses foyers ! À qui la faute ?

    Hélas ! hélas !! la faute elle est à tous.

    Ce n’est pas le moment de jeter le cri d’alarme, même de dénoncer les coupables – le temps en viendra – disons simplement notre confiance en la France immortelle, chantons notre amour en la Patrie.

    Sursum Corda !

    [5 juin] Paul Darras m’envoie une carte de Bordeaux, me disant qu’il est dans cette ville à l’hôpital temporaire n°18, où il est très bien, qu’il a quitté son dépôt de Guéret, dans la Creuse.

    Ce matin, avec Robert, à bicyclette, nous allons aux Montils (aller et retour par la forêt) par une belle matinée chaude et ensoleillée. Quel temps idéal de juin !

    Charlot ne m’oublie pas, le cher enfant ! Il m’écrit de :

    « Dunkerque le 3 juin 1915.

    Cher monsieur Paul

    Nous voilà arrivés à Dunkerque, après 2 nuits que nous ne dormons pas, et nous passons la 3e sur la paille pourrie. Ah ! tout ça, ça ne vaut pas le petit lit de Blois ! Il est 9 h du soir et nous entendons la canonnade. On commence à se réhabituer aux sifflements. Nous sommes partis 150 hommes, il y en a déjà 1 mort et 2 blessés. On voit déjà que ça va chauffer. Mais nous sommes tous bien décidés à ne pas reculer. Bien le bonjour à madame Legendre, à Candé et à la Sœur Marcelle. Je suis avec Pierre, il vous souhaite bien le bonjour.

    Enfin je finis ma lettre en vous souhaitant une bonne santé à tous les trois.

    Je finis en vous embrassant.

    Viard Charles. »

    Voilà mon Charlot à la guerre, sur le front des Flandres, et - avec ses camarades – il est bien décidé à ne pas reculer. Le cher petit brave !

    Pourvu que le Bon Dieu nous le rende, me le rende ! Qu’Il le protège ! J’ai confiance en Lui, en Sa Justice et en Sa Bonté !...

    Quels concerts de louange n’a-t-on pas entonné lors de la prise de Przemysl par les Russes !

     

    Przemysl

    Przemysl, forteresse de Galicie.- Agence photographique Rol.- BNF, département Estampes et photographie, EST EI-13 (396)

     

    Moi, le premier, je criais : « Victoire ! » Dame ! on le disait, je le croyais : « Place de premier ordre, porte ouverte sur les Carpates, 100 000 prisonniers, forteresse imprenable, déroute des Autrichiens, etc. etc. » Que n’a-t-on pas dit ?

    Ce matin les journaux – avec un tout petit titre – nous apprennent que les Russes viennent d’évacuer Przemysl après l’avoir démantelée, l’avoir vidée de ses canons, de ses armes, de son armée. Przemysl aujourd’hui disent-ils, n’en valait pas la peine. N’empêche que les Autrichiens s’en sont emparés, qu’ils s’y fortifieront bien et qu’ils s’y tiendront. Alors d’où venait ce ton de victoire lors de la prise de Przemysl. Aujourd’hui Przemysl est trop verte et bonne pour… les Autrichiens. Que Przemysl soit évacuée, je n’en dis rien, mais qu’elle reste dans les lignes, et au pouvoir des Russes ! Ceux-ci reculent – ils ne font que cela – et abandonnent la « ville forte » la « forteresse imprenable » et la laissent aux mains des ennemis. Qu’est-ce ceci ?...

    Tout cela prouve que nos ennemis sont forts, très forts et qu’ils sont toujours à craindre.

    Tout cela ne va pas pour nous !

    À la dernière distribution de ce soir René Daveau, de Candé, m’envoie une carte :

    « Oncle Paul. Deux mots de dedans les vignes pour vous dire que nous comptons sur vous dimanche soir ainsi que M. Robert. Meilleures amitiés à tous. René »

    Mais demain, malgré cette amicale invitation, je ne pourrai aller à Candé.