• 27, 28 et 29 juin 1915

    [27 juin] C’est aujourd’hui qu’a lieu la quête en faveur des orphelins de la guerre. Il y a eu du tiraillement d’abord parce que la société « l’orphelinat des armées », mal composée et dans des idées détestables, voulait, seule, accaparer le résultat de la quête. Il y eut du bruit, il se fit des réunions, on recommanda de ne pas donner, bref l’accord se fit et on « re – recommanda » de donner. Et des vendeuses offrent leurs décorations aujourd’hui, reçoivent les offrandes.

    C’est toujours la même chose.

    Après-midi nous allons à Candé à bicyclette. La pluie nous prend et nous surprend en chemin, et nous sommes obligés de nous mettre à l’abri trois fois ; sous une allée de tilleuls, contre un pignon dans le bourg de Villelouet, et sous un noyer ; ça ne manque pas de pittoresque et de charmes.

    À Candé la famille Daveau a un futur parent, aussi nous ne voulons pas abuser et, tous les deux [avec] Robert, nous allons à la pêche. Mais ça ne mord pas du tout. Aussi nous revenons, après avoir cueilli un superbe bouquet de fleurs des bords du Beuvron, et – désaltérés chez Mme Revault – les photographies du dimanche précédent étant données (ce qui procura à Jeanne, à Marthe et à René une douce joie) nous reprîmes le chemin de Blois.

    Hier - samedi – le matin – nous étions allés aux Montils (aller et retour par la forêt) et j’avais rapporté un pittoresque bouquet de fleurs de la forêt. C’est la pleine saison !

    [28 et 29 juin – Saint Pierre et Saint Paul] L’attaque est particulièrement violente sur le front d’Arras, de part et d’autre, et on essaie de percer la ligne. Tout se maintient et tout résiste. Seuls les hommes ne résistent pas.

    Gervois m’écrit de

    « Sarlat le 25 juin 1915

    Cher monsieur Paul

    Je m’empresse de vous envoyer quelque mots pour vous dire que je suis encore au dépôt, mais plus pour longtemps car on va former un départ avec les territoriaux pour former un bataillon de marche. Je suis tout désolé car chez nous les boches viennent de lancer des obus et ma femme et mes enfants se sont sauvés, tout est cassé, et depuis 2 mois je suis sans ressources, car avec l’allocation qu’elle reçoit c’est à peine pour vivre. Avez-vous des nouvelles de Charles ? Quand donc cette guerre finira. Si je retourne je demande à Dieu une balle au bras pour venir à Blois me faire soigner et vous revoir. Bien des choses de ma part à mesdames les infirmières, sans oublier madame Thibaudier, ainsi que les amis. Dans l’espoir que la présente vous trouvera en bonne santé pour achever l’œuvre de dévouement que vous avez toujours fait de grand cœur. Recevez, mon cher Paul, mes amitiés les plus sincères. Paul Gervois. »

    Charlot m’écrit :

    « La Tranchée le 24 mai 15

    Cher monsieur Paul

    Je n’ai pas reçu de vos nouvelles depuis 3 jours, c’est sans doute rapport aux évènements qui se font du côté d’Arras ; mais j’espère qu’elles sont bonnes.

    Monsieur le curé de Candé m’a envoyé une carte très gentille et me dit d’aller pêcher des grenouilles, mais ce n’est pas commode. Mais nous y retournerons ensemble. J’espère que ma lettre vous trouvera tous en bonne santé ; pour moi ça va très bien. Embrassez bien Mme Legendre pour moi. Bien le bonjour à Robert. Je finis ma lettre en vous embrassant de tout cœur. Viard Charles, fusilier marin »

    Comme c’est aujourd’hui la veille de ma fête Berthe m’écrit :

    « Paris, 28 juin 1915

    Mon cher Paul

    Ta lettre écrite à la hâte samedi matin nous est bien parvenue dimanche comme tu le désirais. Nous sommes heureux de t’avoir fait plaisir en envoyant un petit colis à Charles, mais nous pensons que c’est tellement naturel d’envoyer quelques douceurs à ces pauvres petits qui souffrent pour nous, que les petits sacrifices que nous faisons pour eux sont bien minimes en comparaison des leurs. Nous [avons] reçu ce matin une lettre de ton protégé en même temps que celle de Robert et elles ont été écrites le même jour, c’est te dire que celle de Charles n’a pas été longue à venir. Il nous dit qu’il a reçu son mandat et qu’il est dans les tranchées. Il dit qu’ils sont souvent bombardés, mais qu’heureusement tous les obus des boches n’éclatent pas, sans quoi il y en a un qui est tombé à 10 m. de lui. Enfin il espère voir la fin au mois d’août… Dieu le veuille ! Mais ça n’a pas l’air d’en prendre le chemin, car l’avenir est bien sombre ces jours-ci.

    … Malgré la triste époque que nous traversons de ce moment nous ne voulons pas laisser passer la Saint-Paul sans venir t’offrir nos souhaits les plus sincères ; en ces jours d’épreuves, nous ne pouvons que faire des vœux pour revenir tous à une vie meilleure pour nous et pour la France. Espérons que nous pourrons trinquer prochainement en disant : « Vive Saint-Paul ».

    … Je t’embrasse de tout cœur.

    B. Randuineau. »

    Camille Robert (de Saint-Gervais) m’écrit :

    « Monsieur Legendre

    Je vous envoie une carte de Nancy, mais je suis à Ecuelle [près de Bouxières-aux-Chênes - Meurthe-et-Moselle] à 1 200 m de la frontière, alors voyez d’ici les boches, jusqu’à présent rien de nouveau, du reste il faut faire attention à la correspondance. Sincères salutations. C. Robert 323e régiment d’infanterie, mitrailleur, secteur postal 136 ».

    La carte représente à Nancy la fontaine Neptune et les fameuses grilles de Jean Lamour, sur la place Stanislas.

    Pour ma fête un gentil bouquet de roses et une tartelette à la frangipane font les frais de la Saint-Paul.

    Ce soir je vais à l’ambulance. Je veille à la salle 1. Tardy est revenu se faire opérer, il ne lui reste plus que 2 orteils en tout. Pauvre Tardy ! La nuit se passe dans le calme le plus « fatigant » qu’il soit.

    Le docteur Croisier et Mme Croisier vont quitter l’ambulance, ils vont dans une ambulance d’Orléans, suivant une circulaire envoyée par l’autorité militaire. Melle Burat[1], qui était en « zizanie » avec Mme Croisier a quitté l’ambulance. Que d’histoires ! Elle est dure – paraît-il – pour les dames de la salle 4 placées sous ses ordres. Mme Thibaudier[2] me raconte tout ce qu’elle a eu à souffrir avec elle.

    Hélas ! Où est l’union !! Guerre partout jusque dans la charité ! Et où est-elle plus la guerre que dans les œuvres où sont des catholiques, qui se jalousent, qui se bataillent à outrance. Tristesses que tout cela !...

    En rentrant de l’ambulance je trouve le courrier. Une carte de Candé représentant les chansons de Jean Rameau : « La Routie ».

    « Candé 28 juin 1915

    Recevez nos meilleurs souhaits de bonne fête à l’occasion de la « Saint-Paul » - Marthe Revault. »

    Ce matin à la chapelle du grand séminaire, rue du Bourg-Neuf, Monseigneur procède à une ordination. Deux prêtres sont ordonnés : l’abbé Pierre Bouët, fils de M. Bouët, 1er adjoint de la ville de Blois, faisant fonction de maire et l’abbé [Gabriel Pineau].

    J’y vais vers la fin.

    29_Fi_00148

    Blois.- Le Séminaire.- 29 Fi 148. AD41

     

    Ce soir lettre gaie de Charlot

    « La tranchée le 25 juin 15

    Cher monsieur Paul

    Ah ! quel plaisir que j’ai eu aujourd’hui j’ai reçu 4 lettres : une de Blois, une de Paris avec un mandat-carte que votre sœur m’a envoyé, une de la Chaise, une de Cherbourg ; 4 de mes meilleures lettres que je puis recevoir. J’étais dans la tranchée, en train de manger un morceau de pain sec, car le copain avec qui je devais manger avait tout dévoré. Ah ! le brigand ! encore heureusement qu’il avait affaire à moi, car je pouvais lui faire attraper 30 jours de prison pour avoir mangé la ration d’un camarade, mais je me suis contenté de lui dire que s’il recommençait il n’y couperait pas. Je vous remercie bien des photos que vous m’avez envoyées. Mais qu’est-ce que Jeanne faisait avec son arrosoir puisque vous étiez à la guerre ? Il devait contenir du gaz asphyxiant, alors vous avez dû en tuer pas mal (des mouches). Je vois que vous vous êtes tous bien comportés au feu.

    Et les photos du brave Picault, c’était une grande cérémonie.

    Vive le brave Picault avec la petite voix de Mme la marquise.

    Ah ! la scène devait être jolie ! J’aurais bien voulu y être, je me serais tordu. Vous avez dû en prendre une de ces parties de rigolade ce jour là !

    Quand vous irez à Candé souhaitez bien le bonjour à toutes les connaissances. Hier nous avons été bombardés, mais aujourd’hui c’est tranquille. Hier ils nous ont lancé 80 obus, il y en a bien 40 qui n’ont pas éclaté ; il y en a un qui est tombé à 10 m. de nous, s’il avait éclaté on était mort ou blessé, il n’a pas éclaté, nous n’avions pas de mal. Je ne vois plus grand chose à vous dire que je désire que ma lettre vous trouve tous en bonne santé, pour moi ça va très bien.

    Bien le bonjour à Mme Legendre. Je finis en vous embrassant de tout cœur. Viard Charles. »

    On voit que jusque dans le danger il ne s’ennuie pas et ne se fait pas de bile, puisque sa lettre est émaillée de croquis simplistes et humoristiques.

    Il y aussi une lettre pour Robert :

    « Mon cher Robert

    Toutes mes félicitations pour les belles photos que tu as faites, c’est très bien. Si ça ne te dérange pas de trop tu pourras m’en envoyer d’autres, tu as de bons artistes il faut en profiter. Si tu peux m’envoyer ta photo cela me fera plaisir.

    Plus rien à te dire. Ton ami qui te serre cordialement la main. »

    La bonne Joséphine Latrasse m’écrit de Gy le 27 juin. Elle me dit entre autres choses :

    « … J’ai reçu des nouvelles de notre bon Charlot hier. Il se bat toujours avec courage ce cher petit Charles et il me dit qu’il est à 30 m. des boches, et que bientôt ce sera fini, et qu’il reviendra en auto, nous pourrons faire de bonnes promenades ensemble, ce serait bien à désirer car voilà assez longtemps que cette maudite guerre dure. Mon frère Jean va bien mieux, il pense retourner rejoindre son régiment ces jours-ci, cela nous donne aussi beaucoup d’ennuis, mais il faut bien s’y faire, enfin nous espérons que bientôt ils seront de retour.

    … Recevez – cher monsieur – de toute la famille nos plus sincères amitiés.

    Joséphine Latrasse à Gy, par Saint-Parize-le-Châtel. »

    Mon confrère Guenet actuellement sur le front, à la 2e Cie conducteur, 22e section de munitions d’infanterie, 45e régiment d’artillerie, secteur postal 34, m’écrit entre autres choses :

    « … Mon cher confrère merci donc de vos excellents sentiments confraternels que je n’oublierai pas ; j’attends avec confiance la fin de cette terrible aventure et quoique, depuis le début sur le front ou à proximité, je n‘ai pas encore fait de rencontre malencontreuse de quelques balles ou marmites boches.

    Bien cordialement à vous.

    Votre confrère reconnaissant. A. Guenet. »

    [1] Infirmière-chef de la salle 4, rue Florimond-Robertet, 6.

    [2] Place Victor Hugo, 2.