• 22 et 23 juin 1915

    22 et 23 juin 1915

    [22 juin] La nuit se passe à l’ambulance sans rien de particulier. Tant mieux pour les pauvres blessés, mais c’est triste – car il n’y a rien à faire pour les blessés. La nuit se passe dans le calme absolu.

    En rentrant je trouve une lettre de Pierre et une de Charles.

    Celle de Pierre :

    « Le 18 juin 15

    Monsieur Legendre

    Je commençais à désespérer d’avoir de vos nouvelles quand j’ai reçu votre aimable lettre du 11 juin. Je vais toujours bien, je n’ai pas vu Charles depuis 8 jours. De la façon dont le service est organisé nous ne pouvons nous voir que quand nous sommes au repos, aussi demain matin, avant le jour, je vais le retrouver aux dunes.

    J’occupe avec mon escouade un petit poste avancé, dans une ferme ou plutôt dans une île, car nous avons de l’eau tout autour.

    Tranquillisez-vous à notre sujet, à Charles et à moi ; comme je vous le disais dans ma dernière lettre, nous sommes dans un secteur assez tranquille. Il est vrai qu’il ne faut qu’un coup pour que les choses tournent au vilain.

    Vous pouvez compter sur moi pour les démarches à faire à l’égard de Charles, au cas où il lui arriverait quelque chose. Comme vous me dites dans votre lettre la chaleur ne manque pas dans les dunes, mais de l’eau je ne pense pas en manquer, nous sommes trop près de la mer pour ça, en la distillant il y en a je crois pour contenter tout le monde.

    Vivement que la guerre finisse que je puisse aller faire un petit tour à Blois. Je ne vois pas autre chose à vous dire pour le moment, et je termine ma lettre en vous embrassant.

    Votre petit ami : Pierre

    Quartier-maître électricien, 1er de marins,

    1er bataillon, 2e Cie secteur 131 »

    Celle de Charlot !

    « Les caves de Nieuport le 17 juin 15

    Cher monsieur Paul

    Ah ! le brave Picault il l’a bien gagnée aussi la médaille ! Il devait être heureux ainsi que la Marquise ; elle n’avait pas fini de prendre son lorgnon pour le regarder ; ils ont dû prendre l’offensive à Chitenay. Je suis dans les caves à Nieuport et les boches bombardent la ville, pas la ville mais les ruines. Il fait beau temps même très chaud. Ma compagnie est dans les tranchées, mais moi je suis toujours exempt ; le major m’a dit ce matin que j’avais une bronchite. Ah ! c’est malheureux ! Je tousse et j’ai un mal de tête fou, mais pas de fièvre. Voilà huit jours que je n’ai pas vu Pierre, mais je vais le voir demain car on se voit tous les 9 jours. Je reçois tous les jours de vos nouvelles et je suis très heureux. Je pense que de votre côté c’est de même. Embrassez bien madame Legendre pour moi. Bien le bonjour à Robert et, en attendant de vous revoir je vous serre cordialement la main.

    Bien le bonjour à Candé. »

    Le bon Charlot est au repos, j’aime autant cela ; pendant ce temps-là il est à l’abri des balles.

     

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    Suèvres.- Grande rue.- 6 Fi 252/5. AD41

     

    M. le curé de Vienne me demandant de le conduire à Suèvres, en auto, nous y allons après-midi par la route habituelle La Chaussée, Ménars, Cour-sur-Loire et Suèvres (et retour). Au retour un orage éclate au-dessus de nos têtes ; ce qui n’est pas rassurant.

    J’apprends ce soir la mort glorieuse d’un membre actif de notre conférence de Saint-Vincent-de-Paul de Blois, Me Jacques Pigelet, avocat à Blois. Déjà blessé au début de la guerre il était retourné au front lorsqu’il fut guéri, il y trouva une mort glorieuse, faisant le sacrifice de sa vie à la France. Nous perdons un excellent confrère, bon, simple, dévoué, fervent chrétien, français exemplaire.

    [23 juin] Tous les jours je reçois ma lettre de Charlot.

    « Les Dunes le 19 juin 1915

    Cher monsieur Paul

    Je viens de recevoir le papier à lettre qui m’a fait grand plaisir, car je commençais à ne plus en avoir. En ce moment je suis en très bonne santé et je désire que ma lettre vous trouve tous en bonne santé. René m’écrit souvent et cela me fait bien plaisir. L’autre jour les Belges ayant pris une ferme occupée par les boches, beaucoup de boches se sont rendus, ils disaient que s’ils avaient su avoir affaire à des Belges ils se seraient tous rendus, mais ils croyaient avoir affaire à des marins car, nous autres, nous sommes la terreur pour eux et pourtant on ne leur « z’y » fait pas de mal. Mais quand il faut y aller on y va carrément et c’est pour cela qu’ils ont la frousse. Aujourd’hui j’ai vu Pierre et je lui ai montré les lettres que j’avais reçu de vous ; il est enchanté de l’affection que vous avez pour lui et moi aussi et je vous en remercie beaucoup. Si vous saviez comme ça fait plaisir une lettre ou un petit colis, c’est un vrai bonheur. Très peiné que Mme Legendre souffre, mais j’espère que ce n’est rien et qu’en ce moment elle est en bonne santé. Embrassez-la bien pour moi. Bien le bonjour à Robert et je finis en vous embrassant de tout mon cœur.

    Et en attendant de vous revoir, recevez les meilleurs souvenirs de votre petit protégé.

    Viard Charles

    Quand vous passerez à Candé souhaitez bien le bonjour à la famille Daveau, à Marthe ainsi qu’à sa tante. »

    Le bon Charlot qui pense toujours aux autres plus qu’à lui-même !

    Darras, qui ne m’oublie pas (alors que, vraiment, j’ai fait si peu de chose pour lui ; tandis qu’il en est d’autres – comme Mêmereau - auxquels j’ai fait tant de choses (que je suis prêt à recommencer) et qui ne m’écrivent jamais !). Darras, dis-je, m’envoie encore ce matin 3 belles cartes du Bordelais (et me donne des nouvelles de sa santé).

    1° Lormont, ancienne résidence des archevêques de Bordeaux ; 2° le lycée (hôpital temporaire n°19) ; 3° « l’Afrique », steamer de la Cie des chargeurs réunis. Ce brave Darras !

    M. le marquis Guilhem de Pothuau m’écrit :

    « Mercredi matin 23

    Mon cher monsieur Legendre

    Je suis obligé de rendre Tardy à l’hôpital 1 bis demain jeudi, il arrivera en Vienne à 2 h (14 h) par le tramway seul. Je redoute énormément la traversée de la ville pour ce garçon trop faible devant un entraînement, et un retard ou un écart lui nuirait infailliblement. Vous lui portez intérêt, ne pourriez-vous pas, étant voisin de la gare, vous y trouver, ou, tout compris, comme par hasard et vous assurer qu’il se rend à l’hôpital sans s’arrêter en ville ; il y a là un acte de charité prudente que vous n’hésiterez pas à faire ; il vous est reconnaissant et ne devra pas en être effarouché ; il faut seulement qu’il ignore que je vous l’ai demandé.

    Cordialement vôtre

    Marquis Guilhem de Pothuau »