• 2 et 3 juin 1915

    2 et 3 juin 1915

    [2 juin] À midi nous partons, en auto, pour le Dangeon, commune de Marcilly-en-Gault par la route habituelle, Mont, Bracieux et Neung-sur-Beuvron. Nous mettons quelques cartes à la poste et nous revenons par Millançay, Lanthenay et Romorantin. À Romorantin c’est le jour du marché, foule exotique parce qu’aux Solognots s’y mêlent les malades et les blessés du dépôt de convalescence, et parmi ceux-ci il y des Turcos, des tirailleurs algériens et sénégalais, cela donne de l’animation, de la couleur et de la vie à ce joli petit coin de Sologne.

     

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    Romorantin.- La Place du marché.- 6 Fi 194/317. AD41

     

    Je rencontre Boutet, le sympathique sergent. Puis, après avoir fait une halte chez M. Porcher-Seveau, nous rencontrons – aux portes de la ville – tout un détachement de convalescents qui se repose sur les côtés de la route de Blois. Nous allons doucement et, alors, j’aperçois un convalescent qui me fait un salut amical, puis un autre, puis encore un autre. Nous arrêtons l’auto et de tous les groupes se lèvent des amis ; ils arrivent et nous entourent. Ce sont des malades de la salle 3, c’est Abbets, c’est l’abbé Leroux, ce sont des blessés que je connais de vue et qui me connaissent, ils sont heureux de me voir et moi aussi. Ils me demandent des nouvelles du « petit », bien entendu. Nous parlons des uns et des autres, enfin ils me serrent les mains et nous partons. En une heure dix environ nous sommes à Blois. En arrivant je trouve une carte de Charlot :

    « Pays inconnu, met-il, bien le bonjour, souvenir de passage à Achères.

    Viard Charles, fusilier marin. »

    Puis une autre : Cantine de la gare d’Achères (Seine-et-Oise) œuvre d’assistance aux blessés militaires et aux troupes de passage fondée avec l’autorisation de M. le ministre de la guerre :

    « En route pour pays inconnu, me dit Charlot. Bien le bonjour. Viard fusilier marin »

    Ces simples cartes me font plaisir et me prouvent que mon Charlot pense souvent à moi et ne m’oublie pas.

    Puis voici une bonne lettre de Berthe :

    « Paris, 1 Juin 1915

    Mon cher Paul

    Ayant reçu hier soir, au bureau, la visite de ton petit marin qui venait nous annoncer son départ pour le front, j’ai attendu ta visite aujourd’hui toute la journée parce qu’il m’a dit qu’il t’avait télégraphié dès qu’il avait été prévenu. J’ai bien regretté qu’il soit averti ainsi au dernier moment, car je voulais l’emmener à la maison, mais tu sais ce que c’est pour leur dernier soir ils avaient projeté de dîner avec les camardes, je lui avais dit qu’il vienne avec ses camarades nous dire au revoir après leur dîner, mais ils ne sont pas venus ; je lui avais préparé un petit paquet de provisions que je mets de côté pour lui envoyer dès qu’il nous enverra son adresse comme il me l’a promis. Je lui ai bien fait promettre également de me prévenir dès qu’il aura besoin de quelque chose afin que je lui envoie, il m’a bien dit qu’il avait tout ce qu’il lui fallait ; il m’a laissé 20 F. qu’il ne voulait pas emporter, je lui enverrai à ses besoins. Ils nous a bien plu, il nous fait l’effet d’être très franc, c’est une nature à laquelle on s’attache facilement, aussi je t’assure que ça m’a fait de la peine de le voir partir ; il a dans l’idée, ce pauvre petit, qu’il n’y sera pas longtemps ; il dit que dès qu’il couchera par terre sa congestion le reprendra. Mais il est bien courageux et bien décidé à faire son devoir quoique bien jeune puisqu’il n’a pas un an de plus que mon Robert, il aura 19 ans au mois de septembre !

    J’aurais été bien contente de l’occasion qui se présentait de te voir et de passer un moment avec toi ; il est vrai qu’on ne savait pas l’heure du départ des marins et que tu risquais d’arriver trop tard.

    J’espère que nous nous rattraperons prochainement à notre semaine de vacances. Tu as dû trouver Robert un peu fatigué, aussi il est bien décidé à ne pas reprendre un travail si dur.

    Merci à tous deux de vos cartes de Saint-Aignan et de Montrichard. Charles en avait reçu une également.

    … pour toi, mon cher Paul, reçois un bon baiser de ta sœur.

    B. Randuineau »

    Cette lettre me cause un grand bonheur. Décidément partout où Charles est passé, partout où je l’ai mené il s’est attiré des amitiés. « C’est une nature à laquelle on s’attache facilement » dit Berthe. Cela est vrai.

    [3 juin] Fête-Dieu ! Les petits enfants qui, cette année, font leur première communion en ce jour, sont la plupart privés de leurs pères partis à la guerre. Il plane sur cette fête si belle un voile de tristesse.

    Et que de deuils marquent les vides produits, hélas ! dans les familles.

    C’est la confirmation à la paroisse et je suis parrain du petit René Moron[1].

    Melle Jeanne Daveau m’envoie une carte avec :

    « Meilleurs remerciements pour votre journée d’hier. Respectueuses sympathies : Jeanne »

    La nouvelle est arrivée à Blois, ces jours derniers, de la mort au champ d’honneur, aux Dardanelles, de M. Pierre Dillard, officier de marine [24 ans]. C’est un officier de valeur qui disparaît bien jeune, laissant une profonde sympathie à tous ceux qui l’ont connu, et un immortel souvenir.

    Notre Saint Père le Pape Benoît XV vient de nommer : archevêque de Chambéry, Monseigneur [Dominique] Castellan, évêque de Digne ; évêque de Digne, M. l’abbé Lenfant [Léon-Adolphe], curé de Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts à Paris ; évêque d’Amiens, M. l’abbé André du Bois de la Villerabel, vicaire général de Saint-Brieuc ; évêque de Beauvais, M. l’abbé Le Senne [Eugène-Stanislas], vicaire général de Vannes ; évêque d’Autun, M. l’abbé Berthoin [Désiré], ancien supérieur du séminaire de Grenoble ; évêque de Périgueux, M. l’abbé Maurice Rivière, curé de la Madeleine, de Paris ; évêque de Dijon, M. l’abbé Costa de Beauregard [Adrien], supérieur de l’orphelinat de Chambéry.

    À tous ces nouveaux prélats appelés à diriger les barques de leurs diocèses, à travers les récifs de l’heure présente et – peut-être – de l’heure future, il est un doux devoir d’offrir des vœux et des souhaits de prospérité et de paix. Ad multos annos !

    [1] rue Croix-Boissée.