• 11 juin 1915

    11 juin 1915 – Fête du Sacré-Cœur de Jésus

    Cœur de Jésus, le désiré des collines éternelles, ayez pitié de nous !...

    Aujourd’hui, à Montmartre, à Paris, consécration solennelle de la France au Sacré-Cœur de Jésus, par le cardinal Amette, archevêque de Paris.

    Dans toutes les églises de France, consécration de la France au Sacré-Cœur de Jésus.

    Je vais à la messe à la paroisse, les saintes communions sont nombreuses ; le soir – avec Robert – nous allons, à 8 h 15, au salut solennel à la cathédrale où monseigneur l’évêque de Blois prononce l’acte de consécration, le même prononcé à Montmartre et dans toutes les églises de France.

    Cet acte solennel est un document précieux qu’il est bon de conserver et que je me fais un devoir de reproduire ici :

     

    Amende honorable et Consécration de la France au Sacré-Cœur de Jésus.

     

    « O Jésus, présent et vivant dans le Très Saint Sacrement de l’Eucharistie, nous voici prosternés à vos pieds, pour offrir à votre Cœur Sacré, en notre nom et au nom de la France, notre patrie, nos hommages et nos supplications !

    Nous vous adorons comme notre Dieu et notre Sauveur, qui nous avez créés par bonté et rachetés par amour pour nous faire partager un jour votre éternel bonheur.

    Nous vous reconnaissons comme notre souverain Seigneur et Maître, à qui appartient tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes.

    Nous confessons que votre Souverain Domaine s’étend non seulement sur les individus mais sur les nations, que Dieu votre Père vous a données en héritage et que vous avez conquises par votre sang.

    Nous proclamons que vous avez des droits particuliers sur la France, à raison des bienfaits dont vous l’avez comblée et de la mission que vous lui avez confiée dans le monde.

    Nous vous demandons pardon des fautes, privées et publiques, par lesquelles nous avons outragé votre Souveraineté et votre Amour.

    Pardon, Ô Seigneur Jésus, pour l’impiété qui voudrait effacer le nom de Dieu et votre nom béni de la face de la terre, et faire disparaître de partout votre croix, signe sacré de notre Rédemption.

    Le Peuple : Pardon, Ô Seigneur Jésus !

    Pardon pour l’aveuglement et l’ingratitude de ceux qui, méconnaissant la mission divine confiée à votre Église pour le bonheur des sociétés non moins que pour le salut des âmes, ont voulu séparer d’Elle notre patrie et s’efforcent d’entraver sa liberté et son action parmi nous.

    Le Peuple : Pardon, Ô Seigneur Jésus !

    Pardon pour la violation de vos commandements pour les blasphèmes de parole et de plume, pour la profanation du Dimanche, pour le mépris des saintes lois du mariage, pour l’omission du grand devoir de l’éducation chrétienne, pour la dépravation des mœurs, pour l’amour effréné du luxe et du plaisir.

    Le Peuple : Pardon, Ô Seigneur Jésus !

    Pour tous ces désordres, nous vous faisons amende honorable et nous vous demandons pardon.

    Le Peuple : Pardon, Ô Seigneur Jésus !

    Afin de réparer ces fautes autant qu’il est en nous, nous vous consacrons aujourd’hui nos personnes, nos familles, notre patrie : qu’elles soient désormais pleinement à vous !

    Le Peuple : à Vous, Ô Seigneur Jésus !

    Nous vous consacrons nos personnes, toutes les puissances de notre âme et toutes les forces de notre corps : qu’elles soient employées selon votre volonté et soient ainsi totalement à vous !

    Le Peuple : à Vous, Ô Seigneur Jésus !

    Nous vous consacrons nos familles : nous voulons vous y faire régner par l’observation de vos commandements et des préceptes de votre Église, afin que pères, mères et enfants soient vraiment à vous.

    Le Peuple : à Vous, Ô Seigneur Jésus !

    Nous vous consacrons, autant que nous le pouvons, notre patrie, vous promettant de travailler à y rétablir votre règne par la foi en votre doctrine, par la soumission à vos lois, et par l’union avec votre Église : nous voulons que la France soit à vous.

    Le Peuple : que la France Soit à Vous, Ô Seigneur Jésus !

     

    Nous venons à vous, Ô Cœur Sacré de Jésus, dans nos angoisses : ouvrez pour nous les trésors de votre charité infinie. Le sang qui a coulé de votre blessure a racheté le monde : qu’une goutte de ce sang divin, par sa toute-puissance expiatrice, rachète encore une fois cette France que vous avez tant aimée et qui ne veut pas renier sa vocation chrétienne. Oubliez nos iniquités pour ne vous souvenir que des saintes œuvres de nos pères, et laissez couler sur nous les flots de votre miséricorde. Que l’église bâtie par la France en votre honneur soit pour nous comme une citadelle inexpugnable qui protège Paris et notre pays tout entier.

    Bénissez vos vaillantes armées ; accordez-nous la victoire et la paix, et faites que bientôt le temple national que nous vous avons élevé puisse vous être solennellement consacré, comme le témoignage de notre repentir et de notre confiance, comme le gage de notre reconnaissance et de notre fidélité future.

    Cœur adorable de notre Dieu, la nation française vous implore : bénissez-la, sauvez-la !

    Le Peuple : Cœur adorable de notre Dieu, la nation française vous implore : bénissez-la, sauvez-la !

    Ô Cœur immaculé de Marie, priez pour nous le Cœur Sacré de Jésus !

    Le Peuple : Ô Cœur immaculé de Marie, priez pour nous le Cœur Sacré de Jésus ! Ainsi soit-il ! »

    Le peuple répéta avec foi, avec cœur, les invocations prescrites, et la foule s’écoula impressionnée et réconfortée à la fois. Il y avait une confiance qui planait sur la France, la confiance dans le Sacré-Cœur de Jésus.

    sacré coeur de jésus

    Sacré Cœur de Jésus, estampe, Épinal, XIXe siècle.- Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, FOL-LI-59 (2)

     

    Chaque jour amène sa lettre de Charles.

    « Les Dunes, le 8 juin 15

    Cher monsieur Paul

    Il fait une chaleur épouvantable, nous n’avons pas d’eau à boire, les pompes ne marchent plus. Les boches nous laissent quelques moments de repos et je m’empresse de vous écrire, on trouve le temps moins long. Ah ! vous devez faire de bonnes promenades en auto ! Tellement qu’il fait chaud, de temps en temps la tête me tourne et je ne suis pas tout seul. Nous avons des lunettes contre le sable, il est brûlant, nous enfonçons jusqu’aux genoux ; nous faisons dix pas et nous sommes à bout de souffle.

    Sur 150 que nous sommes, presque tous ont passé la visite et [sont] reconnus [aptes]. Je trouve que c’est encore plus terrible qu’à Dixmude. Hier j’étais au petit poste, c’est-à-dire à 20 pas des boches, et je les voyais très bien, et on voyait qu’ils commençaient à en avoir marre. Enfin j’espère que ça sera bientôt terminé.

    Bien le bonjour à Mme Legendre et je finis en vous souhaitant une bonne santé à tous.

    Votre neveu à la mode de France

    Je vous serre cordialement la main

    Viard Charles. »

    Comme le pauvre petit doit souffrir par cette chaleur !

    Je lui ai envoyé une petite pharmacie de poche contenant de la teinture d’iode, de l’alcali, de l’alcool de menthe de Ricqlès, de quoi stériliser l’eau, du mousticide pour éloigner les mouches, de quoi arrêter la diarrhée, la constipation, etc. etc. Enfin un peu de tout, sous un petit volume. Je pense qu’il doit l’avoir reçue maintenant.

    Madame Vautier m’écrit de

    « Cherbourg, 9 mai 1915

    Cher monsieur et ami

    Merci de vos bonnes nouvelles et de toutes les attentions que vous avez pour nous ; pour mon cher prisonnier tous vos bons sentiments, cher monsieur, me touchent profondément et malgré encore cette lettre de la Mission catholique de Suisse que je vous retourne, j’ai confiance en vous, cher ami et suis dans la certitude, du moins je me berce de cette douce illusion de voir arriver mon bon petit mari à l’imprévu.

    J’en suis arrivée à espérer tellement, j’ai une telle confiance que la nuit j’entends résonner des pas un peu fort sur la fenêtre, je crois toujours que c’est mon aimé qui me revient.

    Hélas ! oui monsieur, vous me dites d’espérer, et toujours espérer, et oui j’espère, et c’est cette confiance dans ce bon retour qui me console un peu de ma grande peine, car mon mari me reviendra, et mon cher fils jamais. Oh ! ce mot : jamais ! Que c’est triste à dire et cependant il faut s’y résoudre et se conformer à la volonté de Dieu ; mais, bien cher monsieur et ami, quelle reconnaissance ne vous devrons nous pas !!

    Nous avoir fait retrouver notre bonheur ! Oh oui, nous irons vous remercier ensemble et serons heureux et très fiers de connaître un monsieur, non, un ami puisque vous daignez nous donner ce beau titre d’ami, et aussi connaître madame votre mère qui doit être si heureuse et fière d’avoir un si bon fils, aussi je ne puis que vous dire merci et que tous mes bons sentiments sincères sont pour vous et lorsqu’après cette guerre cruelle, hélas !, pour tous, irréparable malheur pour beaucoup, tristesse, deuils et désespoir de tous, nous serons très heureux de nous trouver près de vous avec notre bon Charlot, et pour qui je prie Dieu qu’il l’épargne des balles ou de ces tristes maladies qui vont encore être causées par ces chaleurs. Oh oui ! je serai heureuse qu’il soit rendu à votre affection et je vous le disais, cher monsieur, vous le gâtiez tellement près de vous, qu’il s’était vite habitué à ces douces choses, et là, maintenant, son bon cœur, ses bons sentiments renaîtront plus vifs pour vous et c’est ce que je souhaite de tout cœur et que, plus tard, il vous donne toute satisfaction. Il m’avait écrit, ce cher petit Charles, deux mots me disant qu’il était à Paris, mais qu’il allait retourner au front et me donnerait sa nouvelle adresse ; alors je suis dans l’attente. Mon cher prisonnier m’a donné de ses nouvelles ces jours-ci et me dit de prendre courage, que sa santé est bonne - hélas ! toujours réclamant pain et vivres, et soyez assuré, cher ami, que mon colis part toutes les semaines et le mieux compris possible ; et aussitôt qu’il sera rentré et qu’il connaîtra et prendra connaissance de vos bonnes lettres pleines d’espoir, il vous remerciera aussitôt de toutes les peines que vous avez pour nous. Bien cher ami, mon espoir est en vous ; présentez - je vous prie - mes meilleurs sentiments à madame votre mère et pour moi toute ma gratitude et mes bons sentiments d’amitié.

    M. Vautier. »