• 30 juillet 1914

    Préface :

    Que sera demain ?

    Question angoissante à laquelle personne ne peut répondre. On parle de guerre. Déjà, depuis l’année terrible, depuis 1870, que de fois ce mot n’a-t-il pas été répété ; que de fois n’a-t-on pas évoqué les horreurs de cette douloureuse épreuve ; que de fois n’a-t-on pas craint être à la veille d’une nouvelle invasion des allemands ! Que de fois !!!

    Et voici subitement, comme un coup de foudre inattendu, ce mot de guerre revient sur toutes les lèvres qui se plissent d’inquiétude. Les journaux, sans lever complètement le voile de la réalité, laissent entrevoir la gravité de l’heure…

    Que sera demain ?

    Voici : l’Autriche – dans une complicité à peine déguisée avec l’Allemagne – vient de déclarer la guerre à sa petite voisine : la Serbie. Son prétexte – car ce n’est qu’un prétexte – est l’assassinat de l’archiduc héritier François-Ferdinand d’Autriche et de sa femme par un Serbe quelconque.

     

    portrait archiduc

     

    Portrait de François-Ferdinand, archiduc d'Autriche (1863-1914)

    Gallica.bnf.fr / BNF, département Estampes et photographie, N-2

     

    Prétexte futile et trop hâtivement accepté. Qui dira jamais l’auteur responsable de ce guet-apens de Sarajevo ? Et qui dénoncera celui qui arma la main de Gavrilo Prinzip, l’assassin de François-Ferdinand et de sa femme ? L’Allemagne, peu scrupuleuse sur le choix des moyens, pourrait répondre, sur ces points, en connaissance de cause…

    Le saura-t-on jamais !

     

    ArrestGavriloPrincipSarajevo1914

     

    Arrestation de Gavrilo Princip à Sarajevo le 28 juin 1914

    NSDK ©1993-2013 - The New Society for the Diffusion of Knowledge

     

    Rappelons nous la fameuse dépêche d’Ems tous les moyens sont bons pour qui veut la guerre…

    Toujours est-il que, poussée par l’Allemagne, l’Autriche déclara la guerre à la Serbie. Que Vienne prenne garde ? Belgrade est de taille à tenir tête à l’envahisseur ; son pays accidenté, la vigueur de ses troupes, la vaillance de son roi Pierre Ier, pourront donner à la malheureuse et trop prétentieuse Autriche bien du fil à retordre, et rien ne prouve que la victoire lui sera assurée. Oh mais non !

    Car voici que la noble Russie, protectrice des faibles et des petits, annonce qu’elle ne permettra pas que pareil crime s’accomplisse et qu’elle déchaînera la guerre à l’Autriche si celle-ci donne suite à sa lâche agression. L’Allemagne, alors, entre en jeu et assure l’Autriche de son appui. La France, alors, moralement liée et engagée avec son alliée la Russie, ne peut ne pas faire tout son devoir : prendre part à la guerre et s’unir à son amie dans la défense du plus faible. La Russie mobilise, l’Allemagne mobilise et - chose curieuse - fortifie singulièrement ses frontières de l’Ouest. La France se laissera-t-elle surprendre ? Mobilisera-t-elle ? Sera-t-elle prête ??

    Il va se jouer – hélas ! – sur le théâtre de l’Europe – le plus grand drame que l’humanité aura eu à enregistrer…

    L’Allemagne est au paroxysme de l’orgueil et la France au paroxysme de la patience. Paris, Saint-Pétersbourg et Londres essaient toutes les interventions d’accords possibles ; acceptent même de nouvelles concessions non justifiées ; Vienne et Berlin refusent, s’embarrassent dans des diplomatiques réponses cousues de fil blanc. Inutile d’insister : le vieux François-Joseph et le misérable Guillaume veulent la guerre. L’auront-ils ?

    La Russie, la France et l’Angleterre, dans leur belle mission, toute de protectrice des petits, essaieront d’enrayer la guerre ; jusqu’à la dernière seconde, s’efforceront de maintenir la paix. Le pourront-elles ?

    À la veille d’événements peut-être graves, au tournant mystérieux de notre histoire, je commence des « Souvenirs personnels et ce carnet de route ». Je l’écrirai sans prétention aucune, n’ayant que celle d’écrire juste, de rappeler au jour le jour ce que je verrai, ce que j’entendrai. Les révélations de ce carnet de route seront forcément restreintes. Ne pouvant par mon âge et mon classement dans l’armée auxiliaire, prétendre qu’à un rôle modeste et effacé, le cadre de mes « exploits » et de « ma campagne » sera particulièrement peu étendu et l’horizon de mes investigations très limité. Combien je le regrette ! J’aurais aimé - si la Providence m’y avait appelé - aller - là-bas - aux premiers rangs, combattre pour la France, relever les blessés sous le sifflement des balles, mourir pour la Patrie…

    Mais il en a été décidé autrement par la Providence ; d’autres auront cet honneur. Gloire à eux !

    Moi je resterai au pays, à mon poste, mais prêt à partir, cependant, si mon appel est prononcé et si la guerre éclate.

    En attendant - ici - je ferai mon devoir, tout mon devoir, car chacun, dans la mesure de ses relations, de sa condition, de ses forces corporelles ou intellectuelles peut servir son pays menacé. Je veux être de ceux-là… Je serai de ceux-là. La France aura besoin de tous ; je serai à mon poste.

    Ce « carnet de route » sera donc très modeste, très limité ; mais je l’écrirai au jour le jour sans prétention aucune (avec la seule prétention cependant - je l’avoue - d’être personnel). Que sera demain ?

     

    002 - 1_J_194_1

     

    Extrait de la préface du journal de Paul Legendre, 30 juillet 1914.- 1 J 194 / AD41

    Demain est à Dieu, l’heure est à Dieu, tout est à Dieu, nos sacrifices, nos fatigues, nos morts, nos blessés, nos pertes, nos victoires, notre gloire, notre pays, notre paix. Tout est à Dieu. Qu’il protège la France et ses armées…

     

                                  Blois, le 30 juillet 1914

                                  Paul LEGENDRE

                                  architecte, 3 rue Bertheau, Blois