• 6 et 7 janvier 1915

    6 janvier, Épiphanie, et 7 janvier

    Puisse l’étoile qui conduisit les rois mages vers l’enfant Dieu, conduire nos armées vers la victoire, en passant par le retour à la foi chrétienne ! Puisse l’étoile éclairer nos chers soldats où ils se trouvent, dans les casernes, dans les dépôts, dans les camps, dans les bois, dans les tranchées, dans les ambulances, qu’elle les éclaire de la lumière de la foi : foi religieuse, foi patriotique.

    « Mon cher ami– m’écrit le bon M. de Bellaing - Paul a été réformé au conseil de révision, ce qui ne l’empêchera pas d’être utile à son pays ; il pense prendre du service, étant assez fort en chimie, dans un établissement où on fait chaque jour des expériences pour les nouvelles poudres, etc.

    Comme nous nous y attendions Jean quitte Tours dans quelques jours pour Montluçon, centre des autos de l’armée, de là il sera sans doute dirigé sur le front.

    Comment, mon cher ami, vont vos si glorieuses blessures  contractées au service du bon Dieu. On vient de m’apprendre la mort de Cron[1], le charpentier-couvreur.

    Ne m’oubliez pas près de madame votre mère et croyez-moi votre bien affectionné.

    Signé : H. de Bellaing

    Le Buisson, 4 Janvier 15. »

    Ce soir je vais à l’ambulance, où je partage la garde de nuit avec M. Chavane. Rien de particulier. Les blessés sont toujours les mêmes ; un d’entre eux – vient des bataillons d’Afrique.

    Comme je pars – au matin – alors qu’il fait à peine jour– j’apprends la mort du colonel du 113e, blessé et prisonnier en Allemagne ; madame Gérardin, si vaillante, vient elle-même, à l’ambulance annoncer la terrible nouvelle qui la frappe si douloureusement.

    Le cardinal Mercier, l’éminent archevêque de Malines, par une lettre éloquente, pleine de cœur, de zèle pastoral et d’amour patriotique, s’est adressé à tous les prêtres belges et à tous les Belges :

     

    cardinal Mercier

    Cardinal Mercier, archevêque de Malines.- Agence photographique Rol.- BNF, département Estampes et photographie, EST EI-13 (391)

     

     

    « Vous ne devez ni obéissance, ni respect à ceux qui vous oppriment. Vous ne devez obéissance qu’à votre roi, qu’à votre Belgique… »

    Cette lettre devait être lue dans toutes les églises belges, mais les Allemands se précipitèrent, en empêchèrent la lecture, arrachèrent les prêtres de leurs chaires, en emprisonnèrent certains, mirent en état d’arrestation le cardinal Mercier lui-même. Maladresse, excès de folie, barbarie à outrance ! Je crois que cette odieuse arrestation d’un prince de l’Église sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Elle cause dans tout l’univers la plus vive indignation, et déjà le Saint-Père – par la voie du consul de Prusse – demande des explications. On dit qu’aussitôt les explications reçues qu’il protestera auprès de Guillaume, demandant la mise en liberté immédiate du cardinal. Le périssable empire allemand à la voix du saint Père devra se soumettre. Malheur s’il ne se soumet pas. Malheur à lui. C’est Dieu qui va parler. Nous sommes à un tournant de notre histoire très douloureux et très consolant à la fois.

    Il me semble voir déjà poindre – là-bas – une aurore nouvelle. Attendons.

    Ce soir je vais au cabinet du juge d’instruction, où je suis convoqué, en présence de Champeaux, l’auteur responsable de mon accident. Me Miron de l’Espinay[2], avocat nommé d’office assiste Champeaux. Je dis franchement, loyalement ce qui s’est passé et je confonds les dires mensongers de mon adversaire, qui ne peut qu’avouer que je dis vrai. Ce qui fait dire à l’honorable Me Miron de l’Espinay que « la franchise est la meilleure des défenses ».

    [1] entrepreneur de charpente à Saint-Ouen ; un brave homme.

    [2] rue des Papegaults, 4, Blois, et château de Malabry, par Chitenay (L.-et- C.)