• 27 et 28 janvier 1915

    27 Janvier et 28 Janvier

    « 22 Janv. 15

    Cher Monsieur Paul, m’écrit René Labbé, – des tranchées sous Soissons –

    Votre carte, où j’ai lu avec grand plaisir des sentiments délicieusement exprimés, m’a rappelé de biens doux souvenirs qui m’ont fait oublier un peu les tristes réalités de cette guerre interminable. Bientôt 6 mois de campagne ! Dernièrement encore le régiment s’est particulièrement distingué à la bataille de Crouy ; félicité par le général d’armée, le 231e a été mis au 1er rang de la division. Il me suffira de vous dire que durant 3 jours et 3 nuits, nous avons tenu le fameux éperon 132, dans les tranchées allemandes conquises, remplies de cadavres sur lesquels nous marchions, ainsi que sur les malheureux blessés. Spectacle affreux qui restera gravé dans ma mémoire tant que je serai de ce monde. Plus tard, si grâce à Dieu, je reviens de cette terrible épreuve, je vous conterai les détails épouvantables.

    Nous partons ce soir pour les tranchées de St Paul où les Allemands attaquent souvent, mais je ne perds pas courage pour cela. À ma compagnie nous restons environ 60, partis de Melun. Nous espérons toujours un repos bien mérité, qui ne vient pas souvent, mais au dessus de cela, notre rayon d’espoir, c’est, revenant à votre carte, ce vieux pont de Blois, ce petit clocher qui chantera la France Victorieuse, le jour de retour, ce sera enfin la réalisation joyeuse de toutes mes chères espérances. J’aime à y penser souvent savez-vous, cela stimule mon courage et ma confiance.

     

    6_Fi_306_00063

    Carte patriotique. 6 Fi 306/63. AD41

     

    Merci du fond du cœur, cher Monsieur Paul, de vos bonnes prières. Puisse N. D. des Aydes vous écouter, rendre la France victorieuse et de ramener au milieu de vous tous en bonne santé.

    Bien cordiale poignée de mains de votre petit ami. Signé : R. Labbé. »

    Voila encore la lettre d’un jeune brave qui se bat depuis le début de la guerre. Le bon René !

    Berthe nous écrit entre autres choses :

    « ……Dans l’attente des zeppelins nous cachons bien docilement nos lumières tous les soirs ; nous avons eu un soir où il n’y avait absolument rien d’éclairé dans les rues, ce n’était pas gai, on a dit que c’était pour faire l’expérience de ce que ça ferait, mais il parait qu’il y avait quelque chose de signalé, enfin à la grâce de Dieu… ».

    Je vais ce soir à l’ambulance. Il y a des lits vides. Je veille dans la salle des malades ; Mr Vigoureux remplace Mr Chavane absent. « Mon petit fusilier » va aussi bien que possible, cependant on continue à lui mettre de la glace ; cependant la fièvre baisse.

    Un autre malade semble souffrir beaucoup des oreillons, et son état ne laisse pas d’être inquiétant ; il s’appelle Le Daniel et est originaire des environs de Ste Anne d’Auray.

    La nuit se passe sans rien autre chose d’anormal. À 8 h je rentre à la maison, heureux d’avoir pu – pendant cette nuit – soulager quelques misères.

    Au dehors il fait très froid, la gelée a été très forte. Je vais – par la bise – visiter quelques familles secourues par la Conférence de St Vincent de Paul. Le soir je reste « à la maison », comme dit Henry Bordeaux avec tant d’à-propos et d’esprit.