• 26 janvier 1915

    26 Janvier

    Voila de mauvaises nouvelles qui arrivent de l’Argonne ; de nos tranchées ont été prises et nous avons dû nous replier de 200 mètres. C’est peu, il est vrai, mais le communiqué officiel ajoute : « Pertes sérieuses des deux côtés. » Pertes sérieuses des deux côtés ! Cela révèle des scènes atroces, des morts et des blessés. Encore des vides et des deuils qui ne se sauront guère que dans un mois environ.

     

    Argonne

    Dans l'Argonne, soldats blessés transportés par leurs camarades, 1915.- Agence photographique Meurisse.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13 (2541)

     

    J’ai eu la grande joie de recevoir le 16 Janvier la visite du brave M. Harrault, de retour de l’ambulance de Laversine. J’ai été bien heureux de le voir, et maman et moi l’avons embrassé pour la France. Glorieusement blessé et amputé du bras gauche, il a reçu 48 blessures. Son pauvre bras droit – le seul qui lui reste – est meurtri et mutilé ; la main, dont le nerf est coupé, retombe inerte et sans vie. Il est proposé – par le général d’Amade – pour la médaille militaire. Aucune poitrine ne sera plus digne de porter cette haute distinction. Il conserve sa gaieté. Les vêtements militaires qu’il porte sont criblés de trous, de balles et de baïonnettes, de shrapnels, d’éclats d’obus ; c’est assez dire s’il a été dans la mêlée. J’ai trinqué – avec lui – à la gloire de la France, à la victoire des armées, à la santé du vaillant soldat !

    Brave M. Harrault ! Glorieux mutilé !! Honneur à lui !!!

    Il est – maintenant – à l’ambulance Mirabeau, à Tours, où l’opération de son bras doit lui être faite ; un nerf de mouton doit lui être mis à la place de son nerf coupé !... Quel supplice !!...

    Il m’écrit ce matin :

    « Monsieur.

    Au moment où vous me lirez je serai opéré et je dormirai sous le chloroforme, toujours avec courage.

    Amicalement à vous. Signé : Harrault. »

    Toujours avec courage !

    Si tous avait eu le courage de M. Harrault les Allemands ne seraient pas entrés en France, mais hélas ! Il y a des braves… et des lâches. M. Harrault m’a raconté – à ce sujet – des choses navrantes qu’il a vues lui-même.

    Toujours avec courage ! Toujours brave !!