• 6 février 1915

    6 Février

    Je reçois une lettre d’affaires de M. Régnier, entrepreneur de charpentes à Landes, actuellement mobilisé au 34e territorial, 13e Cie à Fontainebleau.

    Voici une lettre de Paul Robert, le brave chasseur à pied.

    « La Couronne, 3 Février 1915

    Bien cher Paul

    J’ai reçu ta bonne carte vendredi dernier, mais il me semble que je prends des habitudes de paresse, car si je m’écoutais je ne ferais que me promener, mais pourtant je n’oublie pas les personnes qui me sont chères et aujourd’hui je suis content de faire la causette quelques instants avec toi.

    Les jours passent si vite ici que je ne sais plus si je t’ai écrit depuis que je suis sorti de l’hôpital. Il y aura demain trois semaines que je suis ici, pour achever de me guérir soi-disant, mais mon doigt est aujourd’hui ce qu’il était le 1er jour que je suis arrivé ici, les deux plaies sont complètement cicatrisées, mais l’enflure n’a pas disparu, au contraire, je crois que le froid a une influence sur mon doigt, car il me fait mal chaque fois que la température s’abaisse.

    Il m’est toujours impossible de me servir de mon doigt, maintenant encore moins qu’avant, de sorte que je suis aussi avancé qu’au premier jour. Dans sa dernière visite le médecin-chef m’a dit d’attendre encore un peu ??? Quoi ??? Je n’en sais rien. Je suis dans l’incertitude. J’attends. Advienne que pourra ? Je ne me désespère pas pour cela. J’ai toujours été bien protégé jusqu’à ce jour, que j’espère que cette protection durera jusqu’au bout.

    Nous sommes à une douzaine de blessés ici chez une vieille dame qui possède une immense maison, nous sommes très bien soignés à tous les points de vue. Comme ici c’est la campagne en plein, notre plus grande distraction est la promenade. Depuis quelques jours le soleil se montre plus souvent, comme il fait bon respirer l’air pur ; je me trouve heureux autant qu’on peut l’être dans ma position actuelle ; mais que de fois, lorsque je reporte mes souvenirs en arrière, que de tristes souvenirs. Il y a, en particulier, un de mes amis intimes qui a été tué le jour où je fus blessé, cet ami si cher était fiancé ; j’ai écrit à cette dernière et, avant-hier, j’en ai reçu une réponse. J’ai vu que ma lettre avait consolé un peu cette âme en pleurs, mais ce que j’ai remarqué surtout c’est qu’une foi profonde l’aide à supporter cette cruelle épreuve. Ce qui est le plus triste c’est, qu’après maints renseignements demandés, on ne sait pas où il est enterré. Que la guerre est donc une terrible chose ! Que d’êtres elle sépare qui n’étaient faits que pour s’aimer ! C’est la volonté d’En Haut, inclinons-nous.

     

    Enterrement front 1915

    Un enterrement militaire sur le front : sortie de l'église, 1915.- Agence photographique Meurisse.- BNF, département Estampes et photographie, EI-13(2539)

     

    Je suis bien heureux, mon cher Paul, que tu ailles de mieux en mieux. Espérons que ce mieux continuera et qu’il ne restera bientôt plus trace de cet accident. Tu aurais bien mérité d’être cité à l’ordre du jour ne trouves-tu pas ? Tu es trop gentil, cher grand frère, de me demander si j’ai besoin de quelque chose, je t’en remercie bien sincèrement, je n’ai absolument besoin de rien, je suis pourvu de tout ce qu’il me faut ; merci encore pour ton aimable attention.

    Je me réjouis à l’avance, cher Paul, du moment où nous nous reverrons, nous aurons tant de choses à nous raconter, n’est-ce pas, mon grand ami, que de souvenirs à remémorer dans cette traversée de l’Italie.

    Que fais-tu en ce moment ? J’espère bien que tu te ménages.

    Comment va ta bonne maman ? Sa santé est-elle toujours bonne ?

    J’ai toujours de bonnes nouvelles de Lunéville, j’avais eu – un moment – l’espoir d’y retourner en convalescence, mais c’est zone des armées et si j’ai encore le bonheur d’être debout à la fin de la campagne ce ne sera qu’à ce moment que je pourrai aller les revoir. Au revoir – cher ami – je suis toujours bien heureux de recevoir de tes nouvelles ; reçois de ton petit frère une affectueuse poignée de mains. Signé : Paul Robert ».

    Le voila ce bon Paul Robert, en convalescence, sans y être ; mais pourquoi ce farceur ne m’a-t-il pas écrit plus tôt ! Je vais le lui dire.

    Sa nouvelle adresse est donc : chez Madame Delage, à la Couronne (Charente).

    Je vais ce soir vérifier un compte de fumisterie à l’hôpital temporaire, n° 13, rue Franciade, installé à l’école N. D. des Aydes. Ce compte m’a été remis par M. l’officier d’administration qui gère cet hôpital. Je vais forcément dans toutes les salles, et je remarque que l’ensemble n’est pas aussi bien tenu, aussi proprement installé que « chez nous », à l’ambulance n° 1 bis (Avenue Paul-Renaulme).