• 25 et 26 février 1915

    25 Février et 26 Février

    Les bâtiments de l’escadre anglo-française ou franco-anglaise bombardent les forts des Dardanelles. Eh ! Eh !! Il se pourrait que ces Dardanelles soient les Thermopyles[1] des Allemands et qu’elles dénouent le nœud de la situation. Attendons avec confiance ! Monseigneur Bolo va avoir fort à faire !...

    Marcel Perly m’écrit qu’il est sur le qui-vive depuis un certain temps dans l’Argonne :

    « Nous faisons des attaques et contre-attaques, nous voudrions marcher de l’avant, mais ce sera très difficile. Enfin espérons que nous réussirons, et je pense, avec l’aide de Dieu, nous arriverons à une bonne fin. Je vous demande de prier pour moi, car je suis nommé Caporal et il me faut marcher de l’avant, si je veux que mes hommes marchent aussi bien que les autres ; je crois maintenant que nous ferons des attaques à peu près tous les jours...

    Recevez, cher Monsieur Legendre, d’un ami qui travaille pour la France ses meilleurs souvenirs.

    Signé : Marcel Perly.

    Caporal 113e 12e, secteur n° 9. »

    Le bon M. de Bellaing m’écrit :

    « ...Nous venons d’avoir des nouvelles de notre Jean qui pense quitter Tours sous peu pour aller au front peut-être. À la volonté du bon Dieu !!!

    Quoique ce départ répugne à notre pauvre nature humaine, c’est bien bon de penser que rien n’arrive que par la permission du Bon Dieu et qu’Il nous a bien protégés jusqu’à présent. Nous ne savons encore le moment de son départ, mais cela peut arriver d’un moment à l’autre. »

    La revue « l’Art et les Artistes » ayant fait paraitre un remarquable et idéal numéro sur la « Cathédrale de Reims » j’ai écrit à M. Armand Dayot, directeur, une lettre enthousiaste de félicitations. Je reçois du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts la carte suivante :

                                                                 « Armand Dayot

                                                 Inspecteur général des Beaux-Arts

                                       Directeur de la revue « l’Art et les Artistes »

    avec ses plus vifs remerciements et bien cordialement. Tâchez de me trouver quelques abonnés dans votre entourage et je vous en serais bien reconnaissant pour l’avenir de la Revue. »

    À coté de la carte de M. Armand Dayot, voici une lettre que je reçois du brave Dargent, qui est en convalescence au château de Chitenay ; à coté d’un érudit doublé d’un éminent artiste, voici la lettre d’un humble, au cœur bon et sincère. Tous se rencontrent chez moi. Je respecte le style et l’orthographe, comme je le fais toujours.

     

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    Chitenay.- Le Château. Vue prise de l’île.- 6 Fi 52/7. AD41

     

    « Chitenay le 24 Février 1915

    Mon cher Monsieur Legendre

    Je viens vous remercié au bon cœur que vous avez eût pour moi pendant tous le temps que j’ai été à l’hôpital de Blois et je vous remercie aussi du beau Crhiste[2] que vous m’avez envoyez lundi matin qui ma fait grand plaisir de pouvoir l’offrire à ma sœur Marcelle avant que de partire et ma sœur à parue toute contente car il est été très beau. M. Legendre je crois que vous n’avez pas été sang apprendre que j’ais partie pour Chitenay par Charles ou ma sœur, mais je vous prie de croire mon cher Monsieur que je suis très bien au château sur tous les points et l’on peut s’amuser il y en à des jeux de tous les sortes et de la place pour prendre le grand air : je crois que quand mon camarade Charles viendra avec nous qu’il se plaira mieux que dans la salle 3 avec Melle Barbier et sa lui feras beaucoup de bien à lui aussi.

    Cher Monsieur en attendan votre visite je conserve toujours un bon souvenir de vous. Toujours votre ami qui vous serre la main.

    Signé : Dargent Patrice

    Bien le bonjours de ma par à mon camarade Charles à ma Sœur et tous les autres camarades. »

    L’orthographe n’y est pas, mais le cœur y est ; c’est le principal.

    En voici une autre de Pinard qui m’écrit de Chaumont. Ce brave Pinard, lui, est aussi brouillé avec l’orthographe, que les Français, les Russes, les Anglais, les Serbes, et presque toute la terre avec les Allemands ! La voici dans toute son exactitude, excepté l’écriture que je ne peux rendre.

    « Lundi le 24 Février 1915

    Cher Monsieur

    Je vous écrie ses de mots pour vou donné de mai nouvelle et apprandre des votre je sui tou jour ant bonne santé et je panse que ma lettre voutrou de même qu’el me quite et je vou diré que je sui trêbien a chaumont et touse mai Camarade se joigne à mois pour vou sou esté le bonjour et bien que nou some bien et que nou dau me oeure et tranqu’il et nous savon ocie nousa musé dan le château les jeu ne manque pas pour mieux vou dire ils nou manque rient

    Et bien jeter mine ma lettre ant vou serran la main de loin

    Pinard Joseph au chateau de Chaumont

    au revoire. »

    Je crois que ce brave Pinard doit être un chaud partisan de la simplification de « l’ortografe ».

    Enfin ! Cela ne l’empêche pas d’être un bon garçon ; mais il est fâcheux qu’il soit aussi illettré. Dans son pays[3], il n’y a donc pas d’école ?

    J’emporte ces deux lettres ce soir à l’ambulance et je donne ainsi des nouvelles fraîches aux camarades de la salle.

    La salle est presque vide, six lits sont libres. Aussi la nuit se passe-t-elle calme, trop calme car je préfère le mouvement, la nuit semble moins longue.

    Charles va tout à fait mieux et on parle, déjà, de l’envoyer – hélas ! – très prochainement à Chitenay. Je le quitte en lui disant « à tantôt ! » Si le Docteur – quand il passera vers 10 h pour la visite – le permet, car il va faire une très belle journée et le bon air lui ferait tant de bien ! J’attends son mot qu’il doit m’envoyer, et je commence à désespérer ; je ne reçois rien. « Le Docteur n’aura pas voulu ! Pourtant cela m’étonne. »

    Quand à midi le « planton » m’apporte le mot attendu :

    « J’ai demandé la permission de sortir et je vous attends à 1 heure.

    Votre ami

    Charles, qui vous remercie. »

    Ce mot est écrit sur une carte rapportée de Belgique, représentant une maison belge. L’écriture est bonne – malgré la main peu assurée par les fatigues de la guerre – et le style bon, sans fautes d’orthographe. À la bonne heure ! Pinard aurait eu une douzaine de fautes dans ces quelques mots écrits à la hâte et sans prétention.

    Je me hâte donc de déjeuner et à 1 h je suis à l’ambulance. Il fait un temps idéal. Nous descendons par le Reménier, suivons le Mail et tous les quais jusqu’à l’abattoir – comme il fait bon ! - Nous revenons par le boulevard Daniel Dupuis, la gare, l’avenue Victor-Hugo, la rue Denis-Papin, le pont et goûtons à la maison. Je le reconduis à l’ambulance où nous arrivons pour « la soupe ». Il est 5 heures passées. Nous recommencerons Dimanche, souhaitons un aussi joli temps.

    Bonne carte reçue de Chaumont, d’Edmond Cassan (elle représente la chambre de Diane de Poitiers.). Je suis en retard pour l’insérer ici.

     

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    Chaumont-sur-Loire.- Château : chambre de Diane de Poitiers.- 6 Fi 45/78. AD41

     

    « Chaumont 19/2/1915

    Cher ami

    Mon séjour à Chaumont touche à sa fin, je suis prévenu, j’ignore encore le jour du départ ; je suis proposé pour passer un conseil de réforme, sera-ce à Blois ou à Romorantin. Je préférerais le passer à Blois. Je resterais peut-être quelques jours ; peut-être ! Je regrette de ne pouvoir vous dire le jour de mon passage. Enfin je vous remercie bien affectueusement de votre carte, gage de votre sincère amitié.

    Agréez-cher Monsieur Legendre – tous mes meilleurs sentiments et tous mes respects à votre chère famille.

    Signé : Cassan

    Une carte de Paul Verdier de Mont-de-Marsan (Landes).

    Elle représente « le grand Hall de la gare du midi » à Mont-de-Marsan.

    « Mont-de-Marsan – dimanche soir 21 février 1915

    Mon cher Paul

    Ayant, de Montargis, envoyé une dépêche à mon père, ma sœur Maria est venue au passage de mon train en gare de Blois ; j’ai été très heureux de la voir et avoir des nouvelles de tous toutes fraîches. J’ai regretté de ne pas te voir, mon vieux ; pour notre retour à Troyes nous passerons encore à Blois, j’enverrai une dépêche pour ce jour-là d’ici 5 ou 6 jours. Nous avons évacué des blessés à Bordeaux, dont 18 allemands ; à Morcenx le train s’est divisé et je suis resté dans la partie qui va ici et de là Saint-Sever ; l’autre partie est allée à Dax, et les 2 tronçons se rejoindront à Bordeaux pour la désinfection. Curieux pays que les Landes ; des sapins, des bruyères, des oliviers ; boues partout, inondations partout. Temps froid et pluvieux. Mon rhume va mieux et l’air des sapins me fera du bien.

    À bientôt peut-être, si tu es prévenu par mon père.

    Mes compliments à ta mère et bien mes amitiés mon vieux Paul.

    Signé : Paul Verdier»

    [1] [Étroit passage maritime de Grèce, site d’un des plus célèbres faits d’armes de l’histoire antique en 480 av. J.C].

    [2] Un Christ que Dargent m’avait dit de lui acheter pour l’offrir à ma Sœur Marcelle en reconnaissance de ses bons soins donnés.

    [3] Séverac (Loire-Inférieure)