• 17 février 1915

    17 février

    Il fait un temps ravissant, de printemps.

    A l’ambulance les blessés se promènent dans le jardin ; Charles descend et est heureux de prendre un bon bain d’eau tiède et un bon bain de soleil. L’air pur, les rayons dorés donnent de nouvelles forces.

    Paul Robert m’envoie une carte de la Couronne, représentant les ruines de l’abbaye, entrée du XVe siècle (monument historique classé). Style merveilleux et si pur !

    « Dimanche 14 février 1915 après-midi

    Mon bien cher Paul.

    Je m’empresse de répondre à ta bonne lettre reçue vendredi soir. Je suis bien heureux de ce que tu me dis. Tu es vraiment trop gentil, cher grand frère, de m’ouvrir ainsi gentiment et si délicatement la porte de chez toi, j’accepte, avec grand plaisir, comme tu peux le penser et serai très heureux de me trouver quelques jours en ta bonne compagnie et celle de ta bonne maman. Tu trouves que je mène ici une vie de château, mais, mon cher Paul, je serai encore plus heureux de me retrouver dans un foyer familial, cette vie de famille que j’aime tant. Je m’arrangerai pour être tout à fait en règle. Je compte - mon cher ami - si j’ai une convalescence, la partager. J’ai de la famille à Nevers, de qui j’ai reçu une invitation, aussi je ferai plaisir à tout le monde, n’est-ce pas cher Paul ? et aurai grand plaisir à revoir ceux dont je suis si en mal, et que j’aspire tant à revoir. Le major vient de venir. Voici ce qu’il m’a dit :

    « Pas grand-chose à faire avec votre doigt ; on va attendre encore un peu, et puis on essayera un peu de mécanothérapie. »

    Qu’en résultera-t-il ? Je n’en sais rien. En tous cas je suis encore ici pour un petit moment et après je retournerai dans un autre hôpital à Angoulême. Encore une fois merci, cher grand frère. Tout le temps que je passe ici ne compte pas comme convalescence.

    Je t’embrasse bien affectueusement.

    Signé : P. Robert »

                           

    mécanothérapie Larousse

    Mécanothérapie.- Larousse médical illustré de guerre.- Dr Galtier-Boissière, Émile.- BNF, département Sciences et techniques, 4-T26-38

     

    Ah ! Ah ! Voici une lettre de Mgr Bolo, le toujours gai, toujours riant Mgr Bolo ! Cela nous change de front. Écoutons ce qu’il dit :

    « 3 février 15

    Bien cher ami

    Voilà, en effet quelque temps que je ne vous ai pas écrit - ce qui n’est pas faute de penser à vous !

    Comme nous allons avoir, à partir de ce soir, trois nuits assez périlleuses, je me dépêche de vous adresser ces lignes pour le cas où ce serait la dernière fois que je vous écris.

    Santé excellente, moral parfait. Dans la marine tout le monde est brave, et quand on voit à bord les cheminées fumer, plus que les pipes, on trépigne à penser que les pipes fument plus que les canons. La seule pensée qui nous console c’est que le blocus sera peut-être l’élément décisif de cette guerre qui paraît devoir être interminable par les armes.

    Nous passons notre temps en croisière entre le cap Nao, au sud de l’Italie, et l’île Sainte-Maure. Tous les six ou huit jours on va pendant deux jours charbonner dans une des jolies baies de la côte grecque : Zaverda, Dragamesti, Navarin, Cassandre, et tous les 30 jours ou 40 jours on se repose quelques jours à Malte. J’y serai quand vous recevrez cette lettre, si « le Waldeck » n’est pas au fond de l’eau.

    J’ai bien reçu tous vos envois et vous avez certainement la lettre qui vous en remercie. Un de ces jours, je vous enverrai une photographie du brick de Noël pavoisé de pipes et autres objets, chers au cœur du matelot.

    C’est maintenant le tabac de France et les gourmandises qui seraient le plus appréciés.

    Pour le tabac, on n’a pas de tabac fin à cigarettes (papier gris, jaunes ou bleu). Il me semble qu’on pourrait bien obtenir de la régie que les envois faits aux navires de l’escadre fussent exonérés des droits qui en triplent ou quadruplent le prix. Mais comment s’y prendre ?

    Vous savez que votre envoi d’illustrés a un grand succès. J’en ai distillé la distribution et ils intéressent jusqu’aux officiers supérieurs. Votre nom qui se trouve sur la revue Larousse est béni et il s’en faudrait de peu que votre règne arrive. Je ne sais pas si votre somme apparaît à travers les volutes bleues qui s’échappent à flots de vos pipes, mais ce qui n’est pas une « blague », c’est que vous serez récompensé, car tous les soirs, à la prière, j’invite nos braves Mathurins à avoir une intention pour ceux qui s’occupent si affectueusement de leur bien-être. Sur le pont, la nuit venue, quand j’entends le bourdonnement de ce brave équipage qui répond au Pater et à l’Ave, il me semble que l’Océan parle aux étoiles, et dame ! celles-ci sont justes aux pieds de l’Eternel.

    Nous allons avoir tout à l’heure à Du Rato, un courrier. Je suis sûr que je vais y trouver une longue lettre. J’espère moins que vous me donnerez des nouvelles de La Chaise, car vous n’avez plus d’auto, mais je recommande tout de même à mes bonnes cousines de s’adresser à vous, si elles sont dans un embarras quelconque, ce qui ne manque pas par le temps qui court ! Ne m’oubliez pas auprès des amis. Remerciez, en particulier, M. Doliveux qui a dû contribuer à l’envoi des illustrés. S’il veut envoyer quelques échantillons de chocolat à l’équipage, je me charge de faire acclamer son nom.

    Je vous embrasse tout fraternellement.

    Signé : H. Bolo »