• 13 février 1915

    13 février

    Edmond Rostand, l’immortel auteur de Cyrano de Bergerac, ayant eu la douleur de perdre son père, l’illustre savant et académicien, j’avais envoyé ma carte de douloureuse sympathie. Je reçois ce matin, de Cambo-les-Bains (Basses Pyrénées), la carte ci-dessous :

    Edmond Rostand

    de l’Académie Française.

    « Profondément ému par votre message de sympathie, je vous en remercie de tout mon cœur et je vous serre très tristement la main.

    Signé : Edmond Rostand. »

    Berthe nous écrit de Paris, entre autres choses :

    « … Les événements se précipitent toujours avec la même lenteur et ce n’est pas avec un temps comme il en fait encore un aujourd’hui que ça ira plus vite ; on dit qu’il faut de la patience, mais il en faut en effet. Nous avons un collègue du bureau qui est mort le 1er février après 4 jours de maladie. Il était infirmier à Cette et la dernière lettre que nous avons reçue de lui nous disait qu’il devait partir au front. Y est-il allé ? Où a-t-il attrapé sa maladie à soigner les autres, nous ne le savons pas encore. C’est un de ses frères - également blessé- qui a écrit cette nouvelle à M. Patrouix ; il avait 25 ans.

    Nous avions un petit Belge, dont nous étions sans nouvelles depuis le mois d’août, qui a écrit la semaine dernière ; il est en traitement-après 5 mois de campagne-blessé d’un coup de crosse - au camp du Ruchard près de Tours ; il va être bien soigné, car les Tourangeaux sont bons pour les blessés. Pauvre jeune homme ! Les parents habitaient Terremonde [Termonde], un pays de Belgique qui a tant souffert des Allemands.

    Que Paul ne craigne pas de prendre des précautions pour lui-même, lorsqu’il passe la nuit auprès de ses pauvres malades ; il y a - paraît-il - bien des maladies contagieuses, il devrait avoir une grande blouse qu’il mettrait par dessus ses effets, et qu’il quitterait en partant ; car s’il touche ces malheureux ce serait la blouse qui serait en contact et non les effets qu’il met journellement.

    Robert se porte bien ; sur 6 de ses camarades qui ont passé la révision (classe 1916) il y en a 3 de reçus et 3 d’ajournés ; il paraît qu’il en a eu 55 % d’ajournés ; c’est peut-être ce qui les fera hésiter à en appeler de plus jeunes. On dit que la classe 15 part au front ce mois-ci.

    Je termine en vous embrassant de tout cœur.

    Signé : B. Randuineau. »

                           

    Conseil de révision 1916

    Conseil de révision, 21 janvier 1916.- Croquis 1914-1919.- Paul Goute (1860-1943).- BNF, département Estampes et photographie, PET FOL-QE-352

     

    Ayant écrit au petit soldat Cassan, en traitement au château de Chaumont-sur-Loire, pour le remercier de la jolie carte qu’il m’a envoyée, je reçois de lui la lettre suivante :

     « Chaumont 11/2 1915

    Bien cher ami

    Je suis confus par tant de grandeur d’âme et de bonté, dont je suis l’objet de votre part. Votre charmante lettre m’a transporté de joie et je suis heureux du réconfort que m’apportent vos douces paroles, votre si franche amitié. Je prie très souvent notre bon créateur pour qu’il hâte cette maudite guerre, cause de tant de souffrances et de deuils.

    J’ai déjà eu l’occasion d’admirer ce beau château, au style si vieux, si pur, et que de mystères a dû susciter cette merveille de la Renaissance. Au point de vue construction quel beau travail, et que de difficultés à surmonter par le manque d’outils perfectionnés, que nous possédons à l’heure actuelle !

    Je suis désolé d’avoir passé quinze jours à Blois sans pouvoir visiter son fameux château, si historique.

    C’est avec un profond chagrin que je me suis vu éloigné de Blois, où je laissais-c’est le destin-un ami si doux, si sincère et si compatissant aux souffrances d’autrui.

    Soyez persuadé - cher ami - que jamais vos traits si purs, si modestes, ne s’effaceront de ma mémoire, et mon cœur bat bien fort à la pensée que nous ne nous reverrons peut-être jamais. Encore une fois, cher ami ! Merci.

    Agréez, très cher, l’expression de ma Sincère gratitude.

    Signé : Edmond Cassan.

    J’adresse à votre chère famille tous mes vœux de bonne santé. Meilleurs souvenirs à la charmante petite Sœur qui m’a procuré le plaisir de faire votre connaissance.

    Veuillez bien excuser l’oubli par moi apporté à ne pas vous donner d’adresse plus précise ; je suis parfois si distrait !

    Edmond Cassan 143e Inf. soldat en convalescence au château de Chaumont-sur-Loire. (Loir-et-Cher) »

    Voilà une bonne lettre, affectueuse et pleine de reconnaissance. Elle condamne ceux qui - atteints de l’avarice ou de la méchanceté - viennent dire :

    « Méfiez-vous ! Vous ne connaissez pas ces jeunes gens-là. Je ne crois pas à la reconnaissance ! »

    Vous ne croyez pas à la reconnaissance ? Eh bien lisez la lettre d’Edmond Cassan ! Elle condamne vos théories ingrates et elle vous crie « Voilà ce que produit la charité ! »…

    État-civil des ambulances pour la semaine :

    Le 9 février : Jean-Marie Perrais, 24 ans, soldat au 116e régiment d’infanterie (rue Franciade) ;

    Le 10 février : Louis, Georges Tabouret, 25 ans, soldat au 149e régiment d’infanterie (Hôtel-Dieu) ;

    Le 11 février : Hippolyte Plassard, 31 ans, soldat au 48e régiment d’infanterie (Hôtel-Dieu).

    L’abbé Jean Tinturier (de Vendôme), élevé à l’école de théologie, soldat au 31e [15e], a été tué dans une attaque, à l’âge de 20 ans. Qu’il repose en paix dans la gloire !...