• 11 et 12 février 1915

    11 février et 12 février

    Aujourd’hui, dans presque tous les diocèses de France, sur l’initiative de Monseigneur Dubois, archevêque de Bourges, a lieu « la journée spéciale de prières pour la guerre » pour les enfants.

    C’est aujourd’hui, aussi, qu’à 2 h, au palais de justice a lieu - en correctionnelle - « les débats » de mon accident d’automobile.

                           

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    Blois.- Palais de justice.- 6 Fi 18/1544. AD41

     

    Le tribunal est composé de M. le Président du tribunal Raymond, assisté de Me Belton, avocat (faisant fonction de juge) et d’un autre juge dont j’ignore le nom ; M. le Procureur de la République Cosson soutient l’accusation ; M. Hémonet, greffier, est à son bureau.

    Le sieur Champeaux, fils (mineur), assisté de son père (responsable) est au banc de l’accusation. Maître Miron de l’Espinay[1] prend la défense de Champeaux.

    Les témoins entendus sont M. l’abbé Renou, Mme Hême, femme du garde-forestier de la Patte-d’oie ; et moi.

    Je suis appelé le premier à le barre et dis toute la genèse de l’accident, expliqué - déjà - plus haut et M. l’abbé Renou, appelé à son tour, confirme ma déposition et reste très affirmatif sur l’absence totale de lumière aux voitures de Champeaux.

    Mme Hême, à son tour, dit ce qu’elle a vu et affirme que Champeaux lui a avoué - sur les lieux de l’accident - « qu’il savait qu’il était dans son tort parce qu’il n’était pas éclairé ». C’est net. Champeaux, puis le père, sont interrogés à leur tour. Le Président les admoneste comme ils méritent.

    Champeaux explique, plus mal que bien, l’état et la situation des voitures au soir de l’accident. Le Président me rappelle à la barre, je confonds Champeaux ; celui-ci prétend qu’il « ne se souvient plus » mais le tribunal voit clair.

    Me Miron de l’Espinay, dans une courte et fine plaidoirie, me couvre de fleurs ainsi que l’abbé Renou et demande l’acquittement de Champeaux en raison de son jeune âge, de son inconséquence, et de son manque complet d’intelligence.

    Après quelques mots du ministère public, le tribunal déclare Champeaux responsable de l’accident, mais en raison de son jeune âge, l’acquitte comme ayant agi sans discernement et le remet à son père. Celui-ci, rendu responsable, reçoit une sérieuse admonestation et est condamné aux frais et dépens.

    L’audience est levée.

    Nous sortons, l’abbé Renou et moi.

    Maintenant que Champeaux a été reconnu coupable et responsable de l’accident, je vais l’actionner en remboursement des frais à moi nécessités (réparation de l’auto, frais de médecin, etc.).

    Le premier acte est joué ; le second - et dernier, je pense - va commencer ; « cette pièce » est bien menée, jusqu’ici tout au moins. Espérons sur le succès final !

    Paul Robert m’écrit qu’il pense pouvoir venir me voir, et passer quelques jours à Blois. Je lui écris que son idée est excellente et que je l’attends.

    « … Je crois que cette maudite guerre - m’écrit Marcel Perly - n’est pas encore terminée, et combien encore de pauvres soldats vont y verser leur sang, car je vous assure que c’est terrible de voir de telles choses se passer. Enfin je me dis toujours : « Courage, c’est pour la France ! »

    Je vais donc profiter aujourd’hui pour vous demander vos bonnes prières, car je vous assure que - vraiment - bien des jours, je me demande si j’aurai le bonheur de rentrer près de ma femme, près de mes bons parents, et aussi, près des amis. Enfin j’ai tout mis à la volonté du Bon Dieu.

    Les progrès sont sensibles pour le moment, nous sommes au repos et c’est de loin, que nous entendons le canon ; je pense que demain ou après-demain nous ferons un petit tour aux tranchées de la forêt d’Argonne...

    Signé : Marcel Perly 113e d’infanterie. 12e Cie. »

    Ce soir je vais à l’ambulance. La nuit se passe dans le calme - car beaucoup de lits sont vides - excepté pour Mêmereau, qui souffre beaucoup de douleurs dans les membres. Charles Viard se porte à merveille, il est complètement guéri.

    La bonne Sœur Marcelle, est « la bonne maman » des malades et des blessés ; elle est la préférée et c’est justice. Elle est bonne au delà de toute expression et ne sait rien refuser à un malade.

    [1] Avocat, bâtonnier de l’ordre

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    • minute du jugement