• 7 décembre 1914

    7 décembre

    « Cher ami – m’écrit, à cette date, monsieur le vicaire général Montagne – merci de tout cœur[1] et de votre sympathie si vraie et de votre si intéressante communication.

    Le bon Dieu vous a gardé vous et M. Renou.

    Qu’Il en soit béni !

    Bien affectueusement à vous.

                                      Signé : A. Montagne

                                                     vic. gen.

                                      « Prions bien »

    D’autre part Paul Verdier m’envoie de Brévonnes, à la date du 30 novembre 1914 « Lundi soir 7 h » la carte suivante, représentant l’église et la rue de Champagne à Brévonnes (Aube).

    « Mon cher Paul.

    J’ai bien reçu ta lettre du 21 novembre à notre passage en gare de Troyes, et je désirais y répondre depuis le 23 que je l’ai reçue, mais j’ai eu tant d’occupations, et, de plus, le soir nous ne sommes pas éclairés dans nos wagons. Nous avons eu grand froid, mais je supporte assez le froid, car la nuit nous n’avons pas de feu quand nous n’avons pas de blessés. Tes longues lettres me font un très grand plaisir, car la vie que je mène si triste, si peu convenant à mes forces morales et physiques, que – par moments – je suis tout neurasthénique, et cela a une influence sur les soins à donner aux blessés ! J’envie ton sort[2], et surtout avoir ton caractère ! Ne me parle pas de la guerre, j’en sais quelque chose car je suis acteur. Nous passons partout et plus nous monterons vers le Nord-est, plus nous verrons de désolations ! avec l’hiver. Je suis plus fatigué, moralement, par la bile que je me fais et la vue des souffrances, pendant 3 jours et 3 nuits que dure notre voyage. Enfin écris-moi de longues lettres sur Blois, les habitants, les soldats, etc. Tout ce qui touche mon pays natal m’intéresse vivement ! J’ai appris qu’Albert Boullet[3] était pris et avait commencé l’exercice. Donne moi donc des détails. Je pense que ta mère va bien, mes compliments de ma part. J’entends le sifflet de la locomotive qui va nous emporter à Sainte-Menehould, chercher un convoi de blessés et malades : il y a ¾ de malades. Bien amicalement et j’espère qu’à mon retour vers Troyes je trouverai ta lettre.

    Signé : Paul Verdier. Troyes, gare régulatrice »

     

    6_Fi_306_00011

     

    Guerre de 1914.- Soldats blessés regagnant l’arrière.- 6 Fi 306/11. AD41

     

    Ce qui prouve que personne n’est content de son sort. Il envie le mien ! Je suis seul, avec ma pauvre mère souffrante, sourde ; dans quelques années, sur mes vieux jours – si je suis malade – je serai seul, entièrement seul, sans famille autour de moi. Qui me soignera ?

    J’aurais tant aimé la vie de famille, la table familiale garnie gentiment, entourée de petits enfants, mon « chez moi » comme je le rêve, tant de choses !… Je suis seul, je n’aurai pas ces joies, et ce bon Paul envie mon sort, lui qui a un foyer, qui aura sa fille sur ses vieux jours ! Non, le contentement n’est pas de ce monde. Il faut le croire.

    [1] En réponse à une lettre de moi sur l’abbé Tesseraud, mort au champ d’honneur

    [2] Pas moi ! Je suis seul, avec ma mère souffrante, sourde !! Lui est libre, moi je ne le suis pas. Il est joli mon sort. Ah oui !!

    [3] tailleur, rue Denis Papin, 22, Blois