• 29 décembre 1914

    29 décembre

    Rien à dire pour la guerre, tout se meut, tout est action, mais, nous autres, à distance, nous ne savons rien.

    Hier et aujourd’hui – à Blois – conseil de révision des réformés et exemptés ; ils sont au-dessus de 700. Citer ceux que je connais serait trop long ; les uns sont maintenus reformés, les autres sont déclarés bons pour le service armé, les autres sont placés dans les services auxiliaires.

    J’apprends la mort de M. l’abbé Gantier, professeur à l’école N.-D.-des-Aydes et M. l’abbé Quénet, curé de Moisy, tous deux tués à l’ennemi. Le diocèse paie – largement – sa dette à la France.

    Quelle heureuse surprise ce matin ! Voici une lettre de Paul Robert, caporal au 20e bataillon de chasseurs à pied, datée de l’hôpital temporaire n° 8, d’Angoulême ! Il est blessé !!

             « Angoulême, 27 Décembre 1914

             Hôpital temporaire n° 8

             Mon cher Paul

    Tu seras sans aucun doute bien étonné de me savoir ici. Eh bien ! oui je suis ici depuis mardi dernier. Le 17 décembre en chargeant à la baïonnette les boches dans leurs tranchées, une balle est venue me frapper le 3e doigt de la main gauche, entrée par une extrémité du doigt, elle est sortie par l’autre et, à cet endroit, me l’a fracturé. J’étais donc incapable de porter mon fusil. Après être passé dans deux ambulances, on nous embarqua samedi soir 19, pour l’arrière.

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    Un train sanitaire, 1914. La pharmacie.- 6 Fi 306/25. AD41

    Installés confortablement dans un train sanitaire, nous sommes arrivés ici mardi matin, en passant par Paris, Étampes, Orléans et Limoges. J’avais eu – un moment –l’espérance d’être dirigé sur Blois ou les environs, mais je n’ai pas eu ce bonheur ; malgré cela nous sommes plus près l’un de l’autre et j’espère bien qu’une occasion ne tardera pas à se présenter pour que nous nous revoyons, mon cher Paul. Quelle joie n’est-ce pas, cher ami. Tu me disais dans ta dernière lettre que tu viendrais nous voir après la guerre, mais je crois que nous aurons ce plaisir avant.

    Nous sommes installés ici dans un lycée, dans des salles spacieuses et bien éclairées, dans de bons petits lits. Oh ! Comme il y fait bon dormir. Après avoir couché si longtemps sur la paille. Des bonnes sœurs, et les infirmières sont là pour nous soigner ; Dieu sait si nous sommes bien soignés. Pour la fête de Noël l’ordinaire a été amélioré et, dans l’après-midi – une séance récréative nous a amusés quelques heures. On fait tout ce qu’on peut pour les soldats, et on a bien raison, car la vie n’est pas toujours intéressante dans les tranchées, surtout quand il pleut. Que deviens-tu, mon cher Paul, j’espère que tu es toujours en bonne santé. T’occupes-tu toujours des blessés. Ceux qui sont entre tes mains doivent être bien soignés, je suis sûr. Que de fois j’y pensais, étant dans les tranchées. Si j’étais blessé j’aurais peut-être le bonheur d’être évacué à Blois et alors quelle surprise pour le cher ami Paul ! Et ce rêve a été bien près de devenir une réalité. Voilà longtemps que tu n’as pas eu de mes nouvelles, il faudra me gronder, mon cher Paul, d’avoir été aussi peu exact, maintenant que je suis en repos je réparerai ce long silence.

    Et maintenant que bientôt une nouvelle année va commencer, ton ami Paul est heureux de te souhaiter bonne et heureuse année ; bonne santé, surtout pour ta bonne maman, dont l’état de santé, j’espère, ne te donne pas trop d’inquiétude. Et j’espère que votre vœu, le plus cher à tous deux, se réalisera bientôt. Quelle joie de se revoir et de revivre les bonnes heures passées ensemble. Reçois, mon cher Paul, avec mes bons souhaits, une affectueuse accolade de ton

             ami dévoué.

             Signé : Paul Robert

    Tu voudras bien présenter mes respectueux hommages à ta maman et lui transmettre mes vœux respectueux pour 1915. »

    C’est bien la lettre d’un bon et brave ami ! Il est peu blessé, heureusement, et le voilà – Dieu merci, à l’abri des balles allemandes pour quelques temps ; il va prendre un juste repos, bien gagné, depuis le premier jour qu’il est en guerre.

    Voici une carte représentant l’hôtel de ville de Laheycourt (Meuse) – à 4 kms de Sommeille – bataille de la Marne (6 au 12 Septembre 1914), qui m’est envoyée par Paul Verdier ; charmant hôtel de ville Renaissance, ravagé, détruit, quel crime impardonnable !

    « Sommeille – Nettancourt (Meuse) 24 Dec. 1914

             Mon cher Paul

    Je pense que tu vas mieux et que tu es complètement remis de ton accident. Je le souhaite de tout cœur, afin que tu fêtes Noël suivant tes désirs. Fête nos victoires car ce soir j’ai vu de grands combats dans l’Argonne – où nous sommes – depuis samedi 13 heures, où nous sommes arrivés de Marseille ; le canon n’a pas cessé, au loin, direction de Reims, l’Aisne, forêt de l’Argonne, Varennes, Verdun et Saint-Mihiel. Tout cela ensemble marchait : hier cela s’est calmé et aujourd’hui bruit très sourd. Mais ça a chauffé dur, car un train chargé de chaux et de chlorure de chaux est passé pour Sainte-Ménehould, probablement pour enterrer les morts. De plus nos troupes ont avancé enfin dans les tranchées ennemies, au milieu de réseaux de fils de fer, et l’on a avancé de 1500 à 2000 m. Du reste Joffre vient de donner l’ordre d’une attaque générale sur tout le front ; et cela continue ; les journaux ne peuvent en parler ; on attendra les résultats pour les publier. De plus des ordres sont donnés pour ne plus ramasser les blessés allemands et de fusiller les blessés allemands qui se rendront, car les autorités allemandes ne veulent plus conserver de prisonniers alliés ; ils les fusilleront. Ordre général que nous avons reçu. Espoir donc ! Et voici Noël, nous passerons un triste réveillon en wagon, près de notre poêle, de tasses de thé que je fais, car je suis toujours gourmand de thé, ça passe le temps. Je viens de visiter les champs de bataille de la région : c’est pas gai ; des tombes disséminées dans les fossés, les champs. Nous sommes au repos et attendons des ordres pour partir ; pourvu que nous ne passions pas le réveillon en cours de route. Ici pays dévasté, en mieux il n’y a plus de chocolat, ni confitures ; on mangera son pain sec. À bientôt de tes nouvelles. Mes compliments à ta mère et joyeux Noël. Et bien amicalement. Signé : Paul Verdier.

    Écrire toujours à Troyes. »

    Cette carte contient de tristes et graves nouvelles.