• 22 décembre 1914

    22 décembre

    Les Russes reculent encore ! Est ce une tactique ? Est-ce une déroute ? Ils passent leur temps à reculer.

    Nous, au moins, si nous n’avançons guère, nous ne reculons pas. Les Serbes – brave petit peuple – avancent terriblement et les Autrichiens viennent de recevoir d’eux la défaite la plus écrasante qu’ils aient eu jusqu’à ce jour. C’est pour eux une débandade complète, un « sauve-qui-peut » général, tandis que les Serbes occupent, déjà, la Bosnie et l’Herzégovine. Les petits, vraiment, montrent l’exemple aux grands.

    Deux de mes bons clients, M. et Mme Duneau[1] viennent de perdre leur fils unique, lieutenant de réserve, tué à l’ennemi, dans l’Argonne.

    Je continue à recevoir des marques de sympathies à l’occasion de mon accident :

    M. de Cardonne, rédacteur en chef de « L’avenir » à Blois (carte)

    Mme Aumoine              Blois (visite)

    M. Girard                    Bourgueil (lettre)

    M. l’abbé Perly            aux armées (lettre)

    M. Vezin, directeur départemental d’agriculture à Blois (conversation téléphonique)

    M. Groussin                 Bourgueil (lettre)

    M. Minier                    Bourgueil (lettre)

    Me Hersant                Paris (lettre)

    M. l’abbé Renou           Blois (lettre)

    M. Seguin                   Bourgueil (lettre)

    M. Abel Brisset          aux armées (lettre)

    M. Martineau              Blois (visite)

    M. Harrault                 Laversine (lettre)

    Me Harrault                Blois (lettre)

    Colonel Nitot              Chambon (conversation téléphonique)

    M. Petit                      Bourgueil (lettre)

    M.P. Perrochon            Bourgueil (lettre)

    Mgr Bolo                     à l’escadre de la Méditerranée (lettre)

    Tous les braves ouvriers de Bourgeuil, qui ont été mes collaborateurs dans les travaux de Mgr Renou, m’écrivent des lettres très affectueuses ; en même temps ils me donnent de leurs nouvelles « Je suis très content que ce ne soit pas grave, m’écrit M. Gasnier[2], et cela me fera bien plaisir de vous voir bientôt. Mon fils est caporal[3] et n’est pas parti au front, il est resté à Nevers pour instruire la classe 15, chose qui lui fait bien plaisir ; ce sera autant de passé. Et quand donc cette terrible guerre sera-t-elle finie ? » M. Seguin[4] m’écrit « J’ai appris le grave accident qui vous est arrivé, heureusement que les suites de vos blessures sont en bonne voie de guérison, je vous souhaite un prompt rétablissement. Je vous remercie de vous être informé de moi ; ma petite santé m’a valu une réforme “inapte à faire une campagne” ». Il m’annonce que, sur les prescriptions de son Docteur, il va être obligé de quitter son métier trop pénible de charpentier ; il prend une épicerie à Langeais, auprès du château. Le brave homme – en effet – a une petite santé.

    M. Girard[5], aussi brave et honnête homme que brouillé complètement avec l’orthographe m’écrit :

    « Monsieur. Je vous dirais que nous avont apris l’assitant qui vous et arivais mais je pense que sé necera pas grave et que quant vous vinderais a Bourgueil que vous serais en bon santé [sic].

    Monsieur je vous serre la manint benié Cortailemant [sic]. Signé : Girard-Samson, couvreur »

    L’orthographe n’y est pas – on déchiffre cependant – mais il y a mis tout son cœur ; c’est le principal. M. Minier[6], m’écrit « J’ai vu sur le journal que vous avez été victime d’un accident d’auto. Je suis heureux de voir que la suite n’a pas été bien grave. »

    M. Groussin[7], m’écrit « Je suis très heureux de voir que votre malheureux accident d’auto n’aura heureusement pas de suite bien grave. Je souhaite donc à M. Legendre un prompt rétablissement et le félicite en même temps de se dévouer pour nos pauvres blessés ; à Bourgueil ils sont bien soignés aussi dans nos hôpitaux.

    Je remercie bien aussi M. Legendre de s’intéresser à tout ce qu’il touche de ses ouvriers de Bourgueil. Moi j’ai un fils de la classe 1916 qui doit passer le conseil courant de janvier, et après, ira payer sa dette comme ses camarades ; c’est avec joie qu’il l’envisage. Maintenant j’espère bien que moi, personnellement, porté, aussi, étant de la classe 1887, ça ne sera peut-être pas très long. Quoique j’ai passé dans la territoriale plus tôt que ma classe, je pense partir, et s’il ne faut que cela pour que ça finisse plus vite que l’on nous prenne de suite. C’est terrible cette maudite guerre ! Tous les jours on apprend de nouvelles morts de gens du pays. »

    M. Petit[8], m’écrit : « Lors de votre dernier voyage à Bourgueil je n’avais pu me rendre à votre convocation je venais d’être pris d’une crise de coliques saturniennes [provoquées par une intoxication par la céruse de plomb des peintures] qui m’a immobilisé pendant prés de 2 mois ; à cela s’est ajouté l’ennui causé par le départ de notre fils unique qui, soldat au 6e génie, est parti sur le front dès le début des hostilités. Enfin j’espère que cette maudite guerre se terminera bientôt et que les choses reprendront leur cours normal.

    J’avais vu sur le journal que vous aviez eu un accident d’auto, et c’est avec plaisir que j’ai appris que, personnellement, vous en étiez resté indemne. »

    Je partage bien les inquiétudes naturelles de ces braves gens, au sujet de leur fils, et leur fils unique Ah ! mon Dieu !…

    Enfin le bon M. Perrochon-Renou m’écrit : « Cher monsieur.

    C’est avec effroi que j’ai appris l’accident qui vous est arrivé. Heureusement que vous en serez quitte pour la peur. Tant pis pour l’auto, si elle est démolie. C’est pour la patrie que vous voyagiez, c’est donc pour la patrie que vous avez failli mourir.

    Honneur aux braves ! Remettez-vous bien vite et venez nous voir par le train ; c’est encore plus prudent. »

    Et comme - au reçu de la lettre de M. de Bellaing, me recommandant 2 jeunes réfugiés, j’ai écrit à 5 personnes, dont à M. Perrochon, à M. Nain ; à Me Simon, avocat, commissaire municipal des réfugiés ; à M. le curé de Contres ; à Melle Dumoulin, aux Houldes, par Francueil (I. et L.), M. Perrochon me dit : « Je me suis occupé de vos deux émigrés, mais je n’ai rien trouvé pour eux. Les travaux des vignes, taillage, etc. demandent des connaissances spéciales. Quant aux autres travaux manuels, on les laisse de coté. Il m’est difficile d’entreprendre de l’ouvrage, car je suis susceptible d’être rappelé au premier moment. Un châtelain de Bourgueil m’a proposé pour eux l’arrachage de bois, à raison de 16 f. la corde [correspond à plus de 3 stères]. Ce n’est pas très rétribué et puis ils ne sauraient où coucher et n’ont pas d’outils pour ce genre de travail. Je leur conseille de ne pas entreprendre cela. J’aurai beaucoup d’ouvrage, mais au mois d’avril et il est à souhaiter qu’ils ne soient plus là. Recevez donc tous mes regrets de ne pouvoir vous être agréable en cette circonstance. »

    Voila une bonne lettre toute d’amitié.

    « Quand aurai-je le plaisir de vous voir ? Venez-donc me demander à déjeuner un des prochains jours. Prompte guérison et agréer, cher monsieur Legendre, l’assurance de ma bonne amitié. Signé : Perrochon »

    Des autres personnes auxquelles je me suis adressé pour les 2 jeunes réfugiés : M. Nain m’a répondu, ainsi que M. le curé de Contres. M. Nain a vu M. Vezin qui va chercher du coté agricole et qui a recommandé, l’un d’eux, à l’Ingénieur des Ponts-et-Chaussées. M. le curé de Contres s’en est occupé auprès des usines de conserves de sa ville, mais il y a, déjà, plus de demande de places que d’emplois à donner ; il n’y faut donc pas compter.

    Reste encore deux réponses à recevoir.

    Et voilà !

    6_Fi_059_00036 [1600x1200]

    Contres.- Fabrique de conserves d’asperges.- 6 Fi 59/36. AD41

    [1] 4, rue Monin, à Blois

    [2] entrepreneur de maçonnerie

    [3] élève à l’école centrale

    [4] entrepreneur de charpente

    [5] entrepreneur de couverture

    [6] entrepreneur de menuiserie

    [7] entrepreneur de plâtrerie

    [8] entrepreneur de peinture