• 21 décembre 1914

    21 décembre

    Je reprends complètement mes occupations. Pour l’instant elles sont bien rares et toujours les mêmes. En effet je commence par aller à un enterrement, celui de Mme Chatelain, une brave femme, dont le gendre est plombier au service des eaux de la Loire. Elle habitait avec ses enfants à la Tour des eaux, sur la « grand’pièce ».

     

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    Blois.- Les réservoirs d’eau de la ville.- 6 Fi 18/1745. AD41

     

    Sur la grande place les jeunes bleus, arrivés samedi dernier, manœuvrent déjà, habillés dans leurs vêtements civils. Les pauvres jeunes gens – de la classe 1915 – et qui n’ont que 19 ans – couchent sur de la paille, dans différents locaux. Ils ont l’air gelés par le froid. En effet, samedi dernier, la classe 1915 est partie sous les drapeaux. Mon petit voisin : René Delabarre est à Sens, d’autres sont à Orléans, à Montargis, à Auxerre, à Langres, un que je connais va à Carcassonne ; au moins, celui là, ne rencontrera pas les Prussiens !

    D’une lettre de Berthe je retiens les passages suivants :

    « … la classe 15 part samedi, les élèves des arts ont quitté l’école depuis quelques jours, il y en a qui vont à Nevers, à Cosne, aux Ponts-de-Cé, etc. Le fils de M. Patrouix[1], qui a échappé – par miracle – à la mort, est maintenant pris de douleurs dans les jambes, à force d’être continuellement dans l’eau. Nous attendons d’un moment à l’autre l’ordre d’appel d’Arthur, il en part tous les jours de sa classe pour garder les voies.

    En fait de nouvelles, aujourd’hui, c’est le commencement du bombardement de la côte anglaise ; en France il n’y a pas beaucoup de nouveau. Eugène[2] que nous avons vu dimanche nous a dit qu’il n’avait jamais été expédié autant de munitions que depuis 8 jours. On dit qu’on prépare un grand coup, mais on dit ça depuis trois mois ; ça commence à être long, et je crois encore plus long pour les pauvres malheureux qui sont au front…

                                          Signé : B. Randuineau »

    En réponse à la carte de félicitations que j’ai adressée à M. le curé de Mur-de-Sologne pour son ami M. l’abbé Allegret, curé de Courmemin – actuellement sur le front, je reçois du bon abbé Leclerc, le mot suivant :

    « Mur-de-Sologne, 19 Déc. 1914

    Cher monsieur Legendre

    Excusez, s’il vous plaît, le retard apporté à la réponse et aux remerciements que je dois à votre récente démarche, pleine de cœur, de délicatesse et de bonne amitié. Tout en me réservant une part de vos bons sentiments, je me suis hâté de faire parvenir au héros, Mr le curé de Courmemin, votre élogieuse carte. Je ne doute pas du plaisir et de la joie que lui causeront vos félicitations. En attendant les siens, veuillez agréer mes vifs et affectueux remerciements, ainsi que l’expression de la reconnaissance que me fait éprouver votre fidèle amitié.

    Que le Bon Dieu vous garde, vous et tous les vôtres, et continuons d’unir tous nos efforts et nos sacrifices en vue d’une victoire prompte et certaine.

    Bien cordialement vôtre en N.S.

                                      Signé : A. Leclerc, curé de Mur »

    Ce m’est une grande joie d’avoir fait plaisir au bon curé de Courmemin, si dévoué et si modeste. Voilà les vrais curés de campagne ! Les premiers à l’assaut, toujours sur la brèche, et toujours bataillés par les tyranneaux [sic] de village…

    [1] Directeur du « Sélénifuge », son fils a 20 ans à peine

    [2] Beau-frère de ma sœur, chef de gare à la gare du Nord-La-Chapelle