• 20 décembre 1914

    20 décembre

    C’est la journée du drapeau belge ! Aujourd’hui, dans toute la France, seront vendus des petits drapeaux belges (noir, jaune, rouge) au profit des malheureux et héroïques Belges.

     

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    Vaillant Belge… merci !- Carte patriotique.- 6 Fi 306/23. AD41

     

    Je vais à la messe à Saint-Vincent, à l’issue de laquelle je vois, à la sacristie, le bon abbé Renou. Il va aussi bien que possible et – tous les deux – nous ne parlons plus du « drame de la forêt de Russy » que pour en évoquer de joyeuses plaisanteries. Le souvenir douloureux s’efface de plus en plus…

    A la sortie de la messe de charmantes vendeuses m’épinglent, contre mon obole, un petit drapeau et une cocarde aux couleurs belges. Malheureusement la pluie tombe et gênera cette manifestation charitable ; les promeneurs seront moins nombreux, et les sous, et les pièces blanches tomberont moins

    Je reçois 3 cartes-lettres de Paul Verdier : une mise à la poste à Marseille (représentant l’avenue Gambetta et la Terrasse Championnet à Valence) avec ce petit mot : « Bonnes amitiés. Arrivée à Marseille ce soir, à 5 heures, après 37 heures de trajet de Sainte-Ménehould. A la tombée de la nuit l’arrivée à Marseille est superbe. Signé : Paul Verdier »

    Les 2 autres cartes font partie d’une seule lettre ; elles représentent : Bataille de la Marne (6 au 12 septembre 1914 Villiers-au-Vent - souterrain où séjournera le Kronprinz pendant la bataille) et l’autre, très salie, maculée de boue : Nettancourt.

                           « Mardi 15 Déc. 14 – 10 h du matin.

             « Mon cher Paul

    Merci ! grand merci de ta bonne lettre ! Mais vraiment j’ai eu peur et craint beaucoup qu’il te soit arrivé quelque chose de très grave. Ma sœur m’avait appris ton accident, et j’allais t’écrire quand j’ai reçu ta lettre. Je suis heureux de te savoir en bonne voie de guérison et je te souhaite meilleure santé, pauvre ami, va ! Je t’écris en route, secoué dans les wagons. Partis hier matin lundi – 4 heures – de Sainte-Ménehould, nous voici en Provence à Orange : à Valence je viens de voir l’ami Dr Laurent Gabriel ; Quentin est aussi là, mais malade !!! avec leurs femmes. Je viens de passer 3 jours au garage, dans l’Argonne, à Sommaille-Nettancourt[1] [Sommeille-Nettancourt] ; pays ravagé par les boches. Ci-contre la tranchée, terrier-abri du Kronprinz et de ses généraux ; je l’ai visité, ainsi que sa cave à Sommeille, où ont été mutilées 7 personnes[2] (1 femme de 78 ans violée, 1 femme allaitant son bébé : seins tranchés, le bébé : mains coupées et 3 enfants tués) c’est affreux !

    Ici, joli pays, montagnes (Dauphiné et Alpes) à ma gauche ; le Rhône et les montagnes de Cévennes à ma droite ; jolis paysages, le tout éclairé par un beau soleil. Cette région de la ligne P.L.M. [Paris-Lyon-Marseille] rive gauche du Rhône est plus fertile, plus jolie surtout, vers le sud, que la région de la rive droite du Rhône. Tout à l’heure j’ai fort bien déjeuné – à 8 heures – en gare de Valence – avec du bon jambon, du bon café, offert par de jolies femmes de la Croix-Rouge. Je me régalais des yeux ![3] Je ne pense plus à la guerre et surtout, moi qui fais ce voyage dans un wagon aménagé pour blessés, sans aucun blessé depuis Ste-Ménehould. Grâce à mon médecin-chef Dr Rogier, qui me soigne bien et m’évite tout ennui moral. Tu connais ses parents à Blois (Bourg-Neuf). Je suis son secrétaire, et je lui serai très reconnaissant de ce qu’il fait pour moi. Je t’écris sur une carte salie, c’est Nettencourt [sic], où nous étions samedi. Voici le Mont Ventoux, couvert de neige au soleil. C’est beau… il ne restait plus de cartes postales du pays que celle-ci, salie, piétinée par les boches. Voici l’arrêt ![4] Bonne santé, prends des précautions, merci mille fois, tu es trop bon et compliments à ta mère. Écris-moi des nouvelles de Blois et des Blésois et bonnes amitiés.

    Signé : Paul Verdier »

    Le brave Paul, c’est la crème de Saint-Gervais des bons garçons ! Je suis content de le voir heureux.

    [1] Je ne lis pas très bien ce nom sur la carte et dois mal le transcrire

    [2] Les misérables !

    [3] le farceur !

    [4] L’arrêt de son train, sans doute, car il m’écrit dans le train