• 17 décembre 1914

    17 décembre

    Je sors aujourd’hui, pour la première fois depuis mon accident, et je sors – ce matin – pour aller au service funèbre célébré à Saint-Saturnin pour le repos de l’âme de Jean Leproux, tué à l’ennemi à Cierges (Meuse), le 2 septembre, dans sa 24e année !...

    Pauvre Jean !… L’église est décorée de draperies de deuil et de drapeaux. Sur le catafalque repose sa vareuse de moniteur de « l’avant-garde » et son képi de sous-officier. L’église est remplie d’une foule émue.

     

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    Blois.- Grand concours de gymnastique - Juillet 1910.- 6 Fi 18/757. AD41

     

    Avant l’absoute M. l’abbé Hibry, vicaire, prononce une touchante allocution, montrant Jean Leproux, à la famille, à l’atelier, à la paroisse, au régiment, sur le champ de bataille, faisant toujours son devoir. Il cite cette parole du pauvre Jean, faisant ses adieux à sa femme, le jour de son départ pour la guerre, et faisant allusion à son petit enfant qui devait naître « Si je ne reviens pas, tu diras, plus tard, à notre petit enfant, que son papa est mort en faisant son devoir… »….. L’assistance pleure…

    M. le curé[1] donne l’absoute, et chacun jette l’eau bénite et défile devant la pauvre famille éplorée…

    Ce tantôt je vais voir le médecin[2], ainsi qu’il était convenu, à ma première sortie. Il me trouve très bien, en bonne convalescence. Bien plus, alors qu’à la révision des services auxiliaires j’ai été maintenu dans les services auxiliaires pour palpitations du cœur, il me trouve le cœur en très très bon état. Je vais donc bien, j’en suis enchanté.

    Je vais voir ma petite voiture, car je ne l’avais pas vue depuis l’accident. Eh bien ! Elle n’est pas si endommagée que je le pensais ; elle l’est certainement, mais pas comme je me le figurais. Nous avons été protégés vraiment. J’en remercie le bon Dieu et Notre-Dame-des-Aydes de tout mon cœur.

    Je reçois ce soir une carte-postale (représentant - après la bataille de la Marne – l’église de Maurupt (Marne) ; pauvre église ruinée, la voûte est tombée, les murs sont calcinés, la chaire est brûlée. Dieu ne peut pas donner la victoire aux vandales qui détruisent Ses Temples, car s’ils continuaient Dieu n’aurait plus d’asile et Notre-Seigneur « pas une pierre où reposer sa tête ».

    Cette carte m’est envoyée par Abel Brisset[3], imprimeur, et suisse à la paroisse Saint-Vincent.

    « Cher Monsieur

    J’apprends par une lettre de ma femme que vous avez été victime d’un accident avec Monsieur l’abbé Renou ; je vous souhaite un prompt rétablissement ; je fais des vœux pour vous.

    Quand à moi la santé est toujours très bonne. Je vous remercie beaucoup d’occuper ma femme pendant mon absence ; bien le bonjour à Madame votre mère de ma part.

    Recevez monsieur mes sincères amitiés.

             Signé : Abel Brisset »

    [1] M. l’abbé O. Motte

    [2] M. le Dr Ferrand, rue du Mail

    [3] Il est le mari de notre femme de ménage