• 7 avril 1915

    7 avril 1915
    Voici, maintenant, des cartes de mes farceurs joyeux de Chitenay. Eux c’est la note joyeuse ; Robert c’est la note sérieuse. Il y a du bon dans les deux.
    Charles m’écrit :
    « Chitenay le 7 avril
    Cher monsieur Paul
    Très enchanté de ma journée d’hier qui s’est passée très agréablement. Aussi vivement lundi pour recommencer. Nous avons été très sages, aussi, pour le prix de sagesse et d’exactitude, je suis un des premiers à l’avoir, car il n’y en a plus beaucoup à distribuer. J’espère que vous n’oublierez pas les prochaines décorations.
    La prochaine décoration sera, je suppose, un tonneau garni de vieilles bouteilles cachées derrière les fagots. Mais nous n’aurons plus le général Gervois, il retourne sur le front chercher une autre décoration. Il paraît qu’il l’aura. Pas d’accident survenu au retour de votre compagnie, et j’espère que madame la marquise nous donnera la permission encore lundi. Bien le bonjour à madame Legendre.
    Votre neveu à la mode de France qui vous serre la main.
    Bien le bonjour de Gallon, Gervois, Nizon, Darras qui est enchanté de votre lettre et de Boivin. »
    En effet j’ai écrit à « l’œuvre d’assistance aux convalescents militaires, 10 rue Auber, à Paris » qui hospitalise pendant tout leur congé de convalescence les blessés ou malades, sans famille ou dont la famille se trouve dans la région envahie. La famille de ce brave Darras se trouve dans le Nord, à Neuville-sur-Escaut, et – sur la demande de Charles, qui me l’a signalé (le brave petit cœur) j’ai écrit à l’œuvre d’assistance aux convalescents.
    Ma demande a été acceptée et j’ai envoyé sa feuille d’hébergement à ce brave Darras, qui est enchanté. Et voilà comment on peut faire le bien ! Il y a tant de façons de faire le bien ! Je vais écrire à la même œuvre pour Nizon qui se trouve dans le même cas.
    Voici une carte de Pierre Gallon.
     

    36_Fi_00015

    Chitenay.- Grande rue.- 36 Fi 15. AD41

    « Chitenay 6/4/15
    Cher monsieur Legendre
    Recevez, je vous prie toutes mes excuses de n’avoir pu faire, en votre compagnie, une petite promenade qui, d’après l’avis de Charles, a été très intéressante surtout le retour. J’ai pu, tout de même, accompagner Melle Gaudin, jusqu’à la gare. Ce matin le docteur m’annonce à la visite que 2 mois de repos encore ne me feraient pas de mal. Avec Charles nous portons fièrement les décorations que vous nous avez remises hier. Recevez, monsieur, l’assurance de mes bons sentiments
    Votre petit ami
    Signé : Pierre
    N’oubliez pas de faire la tête de Charles entre deux barreaux de grille. »
    Cette petite dernière recommandation a été faite ; j’ai fait ce croquis en 4 parties, l’autre nuit, à l’ambulance, et tout est parti pour Chitenay.
    Il s’agit d’une petite escapade de Charles – bien naturelle – au pays Nivernais et que les autres m’ont raconté. Ce qu’il va être surpris lorsqu’il va recevoir cela ! Mais ce qu’ils vont s’amuser.
    Ce soir à 3 heures, je reçois la visite de Gervois, de Darras et de Boivin. L’auto les descend chez moi ; ils partent ce soir même pour Romorantin. Nous trinquons à la maison, puis j’accompagne Darras (qui marche si mal) seul à Sainte-Geneviève, ainsi que Boivin.
    Ensuite nous nous retrouvons tous à la gare ; nous arrosons – comme c’est obligatoire – le départ et le train de Romorantin file, à toute lenteur, aux cris de « Vive Gervois ! Vive M. Legendre ! Vive Boivin ! Vive Darras ! »
    Les képis s’agitent, les chapeaux se lèvent, le train disparaît. Les reverrai-je ?